Soixante ans après la Seleçao brésilienne de Pelé, l’équipe de France, victorieuse mercredi du Maroc (2-0) au stade Al-Bayt d’Al-Khor, sera dimanche au stade de Lusail en position de bisser son titre mondial contre l’Albiceleste de Lionel Messi. Soit les deux monstres du foot contemporain – l’attaquant argentin et Kylian Mbappé – face à face. Voilà ce que raconteront les livres. Ils ne diront jamais l’impression qu’aura laissée sur les présents la rencontre de mercredi. On en a tremblé de la tête aux pieds pendant quatre-vingts minutes, les premières, avec l’impression diffuse de n’avoir jamais vu, du moins au stade, vingt-deux joueurs aller chercher aussi loin en eux les ressources pour aller chercher le gain d’un match.
Duels à laisser groggy un buffle
A ces altitudes, on ne se prive de rien : après avoir entretenu – avec force intox – les incertitudes sur la composition de son onze ces derniers jours, le sélectionneur marocain, Walid Regragui, a fait banco : tous les blessés présumés (Nayef Aguerd, Romain Saïss, Noussair Mazraoui) dans le bain, sauf Aguerd et une inédite (pour eux) défense à cinq au lieu de quatre, ce qui revient à mettre un cache-nez sur une doudoune triple épaisseur. En parlant de ça, le milieu des Bleus Adrien Rabiot et le défenseur central Dayot Upamecano, «victime d’un état grippal» selon le staff tricolore, étaient restés à l’hôtel. Avant le coup d’envoi, Mbappé est allé au pied de la tribune occupée par les supporteurs français s’enquérir de l’état d’un homme qu’il a involontairement allumé à l’échauffement. La Marseillaise huée par une bonne partie des 50 000 supporteurs marocains, chaque possession tricolore sifflée puissance 10 par la totalité des mêmes : chaud.
Ce n’est que le décor : une tribune n’a jamais marqué un but. Et ce n’est que le contexte : un match se joue pendant, pas avant. On joue depuis cinq minutes que les Bleus sont aux commandes : Antoine Griezmann a piqué dans le dos d’un défenseur marocain qui se troue (bien la peine d’en mettre un de plus), son centre a trouvé Mbappé qui camionne tout le monde et Théo Hernandez, celui qui avait failli coûter si cher en quart contre les Anglais, reprenait acrobatiquement au fond (1-0, 5e). Le temps pour Olivier Giroud d’écrabouiller un poteau – autant dire qu’à quelques centimètres près, les Bleus entrevoyaient la finale – et Regragui sortait Saïss pour repasser à quatre. La sélection marocaine a vécu son Waterloo : on efface tout et on recommence. Mais à 0-1. Des tribunes, la suite fut à couper le souffle. Des contres à 30 km/h, des courses talons aux fesses, des duels à laisser groggy un buffle et une impression de vitesse et d’intensité inédite à l’échelle du parcours des Bleus depuis trois semaines, devant beaucoup à une équipe marocaine joueuse, habile, habitée, aux antipodes de la formation restrictive souvent décrite au Qatar.
Reportage
Aux citrons, les visages de la plupart des joueurs semblaient marqués comme s’ils sortaient d’une prolongation. Tout le monde sur un fil : les Bleus, les hommes de Regragui et ceux qui les regardent. Après Saïss, Mazraoui a quitté les copains au retour des vestiaires. C’est peu dire que mercredi, il fallait être valide. Décrire ce qui est tombé sur la défense tricolore, ou plutôt ce qu’il en est resté, au début de la seconde période, demeurera une gageure. C’est passé de partout : à gauche où Achraf Hakimi et Hakim Ziyech sont passés à chaque fois, à droite où Jules Koundé a mis le drapeau blanc tant et plus, dans l’axe où Griezmann a écopé comme le défenseur central qu’il ne sera pourtant jamais.
Mbappé matraqué par les défenseurs adverses
Le ballon était perdu au bout de deux passes : marée rouge sur marée rouge. Hypnotisés par l’ardeur et la violence du combat, les remplaçants tricolores étaient même incapables de se concentrer sur leur échauffement. Au milieu du chaos, il se sera trouvé un joueur et un coach pour accrocher une branche, évitant la chute libre. Le joueur, c’est Hugo Lloris, capitaine partant suppléer ses défenseurs battus dans les airs et au sol au risque de se faire bouger ou, en cas de malheur, désigner responsable : il est vrai qu’il n’en est plus à se couvrir pour la galerie depuis des siècles. Le coach, c’est Deschamps : l’idée – intuitive au possible – de lancer Marcus Thuram, à l’expérience internationale ténue, au milieu de cette folie aura donné pas mal d’air aux Bleus, l’attaquant donnant une profondeur que ses coéquipiers partaient téter en surface avant de replonger dans les grands fonds.
Restait quand même Mbappé, bien discret par ailleurs, largement matraqué par les défenseurs adverses mais c’était un jour à en prendre plein la pipe sans broncher : quatre défenseurs roulés dans le même tapis et une passe pour Randal Kolo Muani, qui doublait la mise (2-0, 80e) une minute après son entrée. La furia marocaine, enfin, a baissé de plusieurs tons. On est sorti de là sonné, en se demandant si on était encore en capacité de marcher droit jusqu’à la zone mixte pour écouter les joueurs. Et on n’était jamais qu’en tribunes.