Le Woodstock du foot. Une invraisemblable séquence de liberté où deux équipes que tout sépare, le palmarès, la reconnaissance, le statut des joueurs et le reste, ont communié dans une sorte de grand-messe du ballon. Où ceux qui ont gagné ont perdu, avant de regagner, puis de reperdre, puis… Donnés perdant à tous les coups, piètres troisièmes de leur groupe et qualifiés de justesse, les Suisses ont sorti l’équipe de France (3-3, 5 tirs au but à 4) au terme d’un match monumental où l’équipe de France, oui, aura pris sa part.
Elle a cependant pris trois buts, envapé un avantage de deux alors qu’il ne restait qu’une poignée de minutes à jouer et les fragilités défensives que l’on pressentait jusqu’ici se sont vues en grand. Le jour où, ironiquement, ses attaquants ont enfin évolué au niveau où on les présumait depuis le rappel de Karim Benzema à la mi-mai. C’est Kylian Mbappé qui a raté le seul tir au but de la série. En grand garçon : il y est allé en dernier, conformément à l’idée qu’il se fait de son standing et de sa place dans ce genre de match.
Un tour de passe-passe pour se couvrir du malheur
Avant ce dénouement, on avait cru ça réglé deux fois. La première : à la 53e déjà, quand le défenseur helvète Ricardo Rodriguez s’est présenté à onze mètres devant un Hugo Lloris censément médiocre dans l’exercice des penalties, ce que le staff tricolore n’a jamais pris à la blague. Les Suisses mènent alors 1-0. La défense à cinq des tricolores, énième tentative pour permettre au trio d’attaque composé de Karim Benzema, Kylian Mbappé et Antoine Griezmann, de s’exprimer à la hauteur du potentiel des trois joueurs, a complètement sombré en première période, tournant au cauchemar pour une défense aux abois et un milieu de terrain N’Golo Kanté-Paul Pogba subissant la loi du nombre, car un défenseur de plus, c’est aussi un milieu de moins.
Du coup, Deschamps est repassé en 4-3-3 avant la mi-temps, puis en 4-4-2 après. Bref : tout et le contraire de tout, et le chaland qui commence à se demander si l’origine de cette défense à cinq, réclamée samedi ou dimanche par les cadres tricolores selon l’Equipe, n’est pas un tour de passe-passe du sélectionneur pour se couvrir en cas de malheur. On voit le mal partout, c’est vrai. L’attaquant de Benfica Haris Seferovic (1-0, 15e) a ouvert le score de la tête en camionnant Clément Lenglet (défenseur, qui sort à la mi-temps), les Bleus n’y voient plus rien et Rodriguez, donc, se présente au penalty. Mais il tremble comme une feuille. Parce qu’on n’expédie pas tous les jours les champions du monde en titre quand on est suisse. Et Lloris arrête le péno.
Visions de cauchemar
La deuxième fois où on a cru l’affaire pliée, ce fut aux alentours de la 75e minute. Royaux, les Bleus en ont mis trois : deux pour Benzema, et le second évoque plus les parties de Playstation (jeu à trois avec Mbappé et Griezmann, dénouement dans les six mètres suisses) que le foot boueux par grand froid. Et un pour Pogba, qui enroule un ballon en pleine lucarne avant de claquer quelques pas de danse (75e, 3-1), installant l’idée d’une certaine euphorie depuis la pelouse jusqu’aux gradins de l’Arène nationale de Bucarest. 3-1, à cet instant, l’affaire est faite.
Deschamps fait d’ailleurs rentrer son vieux soldat Moussa Sissoko (pour Griezmann) comme on remercie un employé discipliné et méritant. Mais là, Seferovic a déjà ramené les Suisses à un but (3-2, 81e) et comme il se voit refuser l’égalisation pour hors-jeu dans la foulée, on est saisi d’un doute. Et on se rappelle, tiens donc, que les Helvètes ont eu trois (!) jours de plus pour préparer leur affaire. Pas rien. Quand Mario Gavranovic ouvre la défense en deux pour remettre d’une frappe lourde à niveau (3-3, 90e), les visages tricolores trahissent des visions de cauchemar.
Grand moment de football
La suite : du foot complètement ouvert, des joueurs au bout du bout et un spectacle indescriptible et extraordinaire, où les équipes semblent communier plutôt qu’elles ne s’affrontent et où le public est comme aspiré sur le terrain, parce que les acteurs les y invitent. Une zone rare, inconnue hors des grands tournois internationaux et encore, même là, les joueurs qui peuvent y goûter sont rares. Les deux prolongations ont filé comme un clin d’œil.
La séance de tirs au but et l’expérimenté gardien suisse Yann Sommer ont éjecté les Bleus du manège. Les tricolores ont vécu depuis le nul (1-1) en Hongrie sur le déséquilibre : en faisant rentrer Kingsley Coman à la mi-temps dans une équipe plantée, en plus de son trio, le sélectionneur n’aura pas combattu ce déséquilibre mais l’aura acté, et même encouragé. L’option aurait pu payer. Elle s’est retournée contre les Bleus. Mais nous a valu un grand, grand moment de football.