A l’applaudimètre, dans les stades, dans les fanzones, il est l’un des joueurs préférés du public allemand à l’Euro 2024. Et peu importe s’il n’est pas le plus talentueux ni le plus expérimenté. Peu importe aussi s’il a privé du match d’ouverture contre l’Ecosse un supporteur allemand transporté à l’hôpital, le bras cassé par une frappe surpuissante envoyée par l’attaquant lors de l’échauffement. Remplaçant au coup d’envoi lors des deux premières rencontres de son équipe dans la compétition mais entré en cours de route à chaque fois et déjà buteur contre l’Ecosse, Niclas Füllkrug pourrait bénéficier de davantage de temps de jeu, ce dimanche 23 juin à Francfort contre la Suisse, car la Mannschaft est déjà qualifiée pour les huitièmes de finale et pourrait avoir intérêt à faire souffler certains de ses cadres. Outre-Rhin, les supporteurs n’attendent que ça.
«Tout le monde l’adore ici. C’est un gars sympa, et c’est un super joueur», résument deux fans croisés à Stuttgart avant la rencontre contre la Hongrie. Un père et son fils, qui portent tous deux le maillot mauve de la sélection nationale floqué du numéro 9 de l’avant-centre de 31 ans. En Allemagne, Niclas Füllkrug a même sa propre chanson, célébrée par les supporteurs jusqu’à Ballermann, une plage des Baléares prisée par les touristes germanophones. Un jeu de mots jovial sur son nom de famille, à base de «füllen» (remplir) et «Krug» (la chope, de bière). En substance, ça donne ça : «Remplis la chope [Füllkrug], on va être champion d’Europe !» L’intéressé apprécie, trouve la rengaine «amusante» et «cool», et confie qu’elle le rend «un peu fier», aussi.
Parcours atypique
Il est comme ça, Niclas Füllkrug : un mec spontané et chaleureux, qui se moque volontiers de lui-même et accepte sans broncher le drôle de surnom dont on l’a affublé – «Lücke» («espace»), en raison de l’écart entre ses dents de devant. Un type au parcours atypique, à mille lieues des trajectoires linéaires des précoces Florian Wirtz et Jamal Musiala, les deux jeunes prodiges de la Mannschaft. Lui a longtemps galéré, tourmenté par les blessures, sur les terrains de deuxième division, avec Greuther Fürth, Nuremberg ou Hanovre, le club de sa ville natale. Quand il a enfin percé au plus haut niveau, sous le maillot d’un Werder Brême promu en Bundesliga (l’élite du football allemand) à l’été 2022, il était déjà presque trentenaire, plus proche de la retraite que du début de sa carrière.
Puis tout est allé très vite. Des buts en pagaille, qui lui permettent d’être sacré meilleur buteur du championnat (16), à égalité avec le Français Christopher Nkunku. Une convocation surprise à la Coupe du Monde au Qatar avec la Mannschaft. Un transfert vers le prestigieux Borussia Dortmund, deuxième plus grand club allemand après le Bayern Munich. Encore des buts. Une frappe du pied gauche décisive contre le Paris Saint-Germain, qui ouvre le chemin de la finale de la Ligue des champions (perdue contre le Real Madrid) aux joueurs de la Ruhr. Efficace devant le but, puissant, doué de la tête (il mesure 1,89 m), Niclas Füllkrug s’est imposé en deux ans comme l’un des meilleurs attaquants d’Allemagne.
«Il se comporte comme quelqu’un de simple»
«Comme il s’est révélé sur le tard et que sa carrière a changé très vite, personne ne pensait qu’il avait le niveau pour jouer en équipe nationale ou disputer une finale de Ligue des champions. Mais il a montré qu’il était assez fort. Au vu de son parcours, il se comporte comme quelqu’un de simple, qui est reconnaissant pour tout ce qui lui arrive. Les gens l’aiment pour ça», note Pascal Affelder, journaliste spécialisé dans le ballon rond pour un média local à Francfort. Quelques jours avant la compétition, «Lücke» s’est retrouvé au milieu d’un groupe de lycéens en voyage scolaire dans un train bondé au départ de Hanovre, où il avait rendu visite à sa famille. Ravi, l’avant-centre s’est pris au jeu d’une séance de questions-réponses avec ses improbables compagnons de route, comblés eux aussi. «C’était marrant. Le temps est passé plus vite que ce que j’avais imaginé», a-t-il raconté au sujet de l’épisode, dont la presse allemande a raffolé – il nourrit l’image de «bon gars» qui colle à la peau du trentenaire.
Pour l’Euro, cependant, l’entraîneur Julian Nagelsmann a été clair : le titulaire à la pointe de l’attaque allemande s’appelle Kai Havertz, pas Niclas Füllkrug. Avec la Mannschaft, le joueur du Borussia Dortmund cumule 12 buts en 18 sélections au total, mais il n’a été aligné d’entrée de jeu qu’à six reprises. Lui ne se formalise pas de ce statut de remplaçant. «Je me prépare pour chaque match comme si j’allais jouer et je ne me concentre pas sur ma situation personnelle. [..] J’ai besoin de très peu de temps pour être performant une fois que je suis entré sur le terrain», expliquait-il récemment à la presse allemande. Au Qatar, Niclas Füllkrug avait marqué deux fois en sortant du banc de touche, et c’était alors l’une des rares satisfactions d’une équipe piteusement éliminée au premier tour de la compétition. Pour l’Euro, à la maison, il espère encore gagner sa place en cours de compétition. Bien placé pour savoir qu’en football, les hiérarchies ne sont jamais figées.