Des ratés à tous les étages, avant, pendant, et après la finale de la Ligue des Champions du 28 mai au stade de France, des recommandations pour éviter la répétition des «dysfonctionnements», mais pas d’inquiétude a priori pour les grands événements sportifs à venir (Coupe du monde de rugby en 2023 et Jeux olympiques et paralympiques en 2024). Voilà les conclusions du rapport sur les «incidents au stade de France» publié ce mercredi par les commissions des lois et de la culture du Sénat. La publication sur ce «fiasco inévitable» s’est accompagnée d’une conférence de presse des sénateurs et présidents des deux commissions, respectivement François-Noël Buffet (LR, Rhône) et Laurent Lafon (Union centriste, Val-de-Marne). Les travaux sont notamment le fruit de nombreuses auditions des parties concernées, de l’UEFA aux ministres de l’Intérieur et des Sports, en passant par les associations de supporters, le préfet de police Didier Lallement, la RATP et la SNCF.
«Un dispositif rigide et fragile»
«Chacun était dans son couloir», constate d’emblée le sénateur Laurent Lafon : le manque de communication et de préparation des acteurs a empêché tous les supporters munis de billets de rentrer dans le stade de Saint-Denis dans de bonnes conditions, menant à un report du début du match entre le Real Madrid et Liverpool, fait rarissime. Ce soir du 28 mai, une grève réduit le nombre de RER B. Des annonces sont alors passées dans les stations parisiennes pour inciter les fans à emprunter la ligne D. Problème : «Ces annonces n’étaient pas prévues par le plan de mobilité», s’étonnent les auteurs du rapport. N’était pas prévu non plus le retrait, par la préfecture de police de Paris peu avant le match, des panneaux censés rediriger les fans, une fois arrivés à la station de RER D, vers un itinéraire alternatif permettant le délestage afin de rentrer dans l’enceinte sportive. Cela «a constitué la seconde difficulté majeure qui a rendu très difficile la gestion de la crise», lit-on dans une synthèse du travail des commissions. Une gestion de crise d’autant plus complexe qu’elle s’inscrit dans «un dispositif rigide et fragile».
L’inébranlable assertion des autorités, selon qui 30 000 à 40 000 supporters anglais avec des faux ou sans billets sont la cause de tous les maux de cette soirée, est balayée par les sénateurs. Ces chiffres sont-ils vrais ? «Nous prenons ce qui nous est donné», objecte François-Noël Buffet, interrogé sur les comptes des passagers de la RATP et de la SNCF. Oui, «il y avait des personnes en plus» par rapport à la jauge du Stade de France ce soir-là, estime son collègue, mais «ce n’est pas le nombre de personnes présentes qui est la cause des dysfonctionnements». Plutôt le manque de préparation et de communication des acteurs entre eux. D’autant que si 80 000 personnes étaient attendues pour assister au match, l’enceinte sportive a déjà reçu sans problème des foules bien plus importantes pour des concerts, remarquent les sénateurs.
Bandes de vidéosurveillance supprimées
Que dire alors de la communication de ces chiffres et de la désignation des supporters anglais comme responsables du chaos, dès le soir de la finale, par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, et dans la foulée par le préfet de police Didier Lallement ? «En disant tout de suite la vérité, il n’y aurait pas eu besoin de tout cela», sourit François-Noël Buffet devant la presse. Et son collègue de relever que l’expression du ministre n’était «pas à la hauteur des incidents». Visant explicitement le président de la République et la Première ministre, Laurent Lafon n’a eu de cesse de déplorer que «les plus hautes autorités de l’Etat ne se soient pas exprimées sur ces événements», ajoutant qu’«il est nécessaire et utile qu’elles le fassent», vu le retentissement international de l’affaire.
«Ce qui nous manquera à tout jamais, ce sont des images» de vidéosurveillance, a également regretté François-Noël Buffet, en référence aux bandes du Stade de France et des transporteurs supprimées sans avoir pu être visionnées par les sénateurs. Ces derniers recommandent de contraindre les opérateurs de ces systèmes à les conserver jusqu’au délai maximum d’un mois, mais aussi, de créer «à titre expérimental la base législative» qui permettrait de les utiliser en temps réel pour «le comptage et la détection des mouvements de foule».
«Définir une doctrine d’emploi du gaz lacrymogène»
Les commissions des lois et de la culture dressent au total une liste de quinze recommandations à l’endroit des autorités et des organisateurs. Pêle-mêle : «rendre obligatoire le recours à des billets infalsifiables» ; informer «en temps réel les détenteurs de billets des modalités d’accès au stade» ; «renforcer la formation des stadiers et améliorer l’articulation entre les stadiers et les forces de l’ordre» ; «organiser les voies d’accès au stade en prévoyant systématiquement des cheminements de délestage suffisants (plans alternatifs) ainsi que des voies d’évacuation pour les personnes rencontrant des difficultés» ; ou encore grossir les effectifs «dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade».
Côté maintien de l’ordre, les commissions souhaitent à l’avenir le «repositionnement de moyens dissuadants», comme des unités équestres en marge des rassemblements, mais demande aussi au ministère de l’Intérieur de «définir une doctrine d’emploi du gaz lacrymogène par les agents des forces de sécurité qui prévienne l’exposition de personnes ne présentant pas pour eux un danger immédiat», comme les enfants qu’on a vu être gazés autour des grilles le 28 mai. Enfin, les sénateurs appellent à rendre les abords du stade de France plus attractifs, pour inciter les spectateurs à venir plus tôt et partir plus tard, afin d’étaler l’afflux de personne à Saint-Denis. Un ensemble de conclusions que compléteront les résultats de l’enquête menée de son côté par l’UEFA, qui affirme que son propre rapport «sera remis et publié d’ici novembre».