Son sort ne faisait guère de doute depuis la sorte de mise en délibéré de son cas, le 28 février. Ce jeudi, Corinne Diacre a été officiellement démise de ses fonctions d’entraîneuse des Bleues. Conséquence de la fronde qui a vu trois internationales, la Lyonnaise et capitaine Wendie Renard ainsi que les Parisiennes Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani, refuser de rejoindre la sélection tant que des «changements significatifs» n’y seraient pas apportés, «changements» incluant donc le poste de sélectionneuse.
«Si la [Fédération française de foot, FFF] reconnaît l’implication et le sérieux de Corinne Diacre et son staff dans l’exercice de leur mission, il apparaît que les dysfonctionnements constatés semblent, dans ce contexte, irréversibles, a détaillé l’institution dans un communiqué. Ce changement […] s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle ambition globale menée par la FFF en faveur du développement du football féminin et des performances de l’Equipe de France, qui devra atteindre des objectifs relevés lors de la Coupe du monde 2023 [fin juillet et début août en Australie et Nouvelle-Zélande, ndlr] et les JO 2024.»
Au-delà du cas Diacre, la FFF prend ainsi acte des revendications des joueuses quant au cadre de vie, jugé indigne par certaines footballeuses. Rien de concret pour l’heure, l’éventail allant du kiné supplémentaire aux conditions somptuaires – y compris salariales, une bataille qu’auront menée avec succès les superstars américaines – faites à leurs homologues masculins. Par ailleurs, la FFF a jugé que «la manière utilisée par les joueuses pour exprimer leurs critiques n’était pas acceptable dans l’avenir» et cela mérite qu’on s’y arrête : en gros, on passe sur ce coup-là, mais gare, ce qui revient peu ou prou à donner quitus aux sécessionnistes, les trois pré-cités plus Perle Morroni et Griedge Mbock, qui se sont montrées solidaires de leurs collègues sur les réseaux sociaux.
Guerre d’image
Presque une moitié d’équipe de France, ce qui peut expliquer le pragmatisme fédéral et sa promptitude à lâcher Diacre à quatre mois d’une Coupe du monde. Enfin, la FFF a promis la création d’un poste coiffant le ou la futur(e) sélectionneur(e), histoire de mettre un peu d’huile dans les rouages. Et d’éviter un pourrissement semblable à celui qui a fini, après des années d’intense guérilla de part et d’autre, à conduire au renvoi de Diacre sur injonction de certaines joueuses.
Ce qui se joue désormais est une guerre d’image. Renard ou Diani ont ouvert des perspectives beaucoup plus large que la seule question de la sélectionneuse, qu’elles n’ont même pas ciblée explicitement quand elles ont annoncé leur retrait de la sélection : il fallait entendre que Diacre n’est qu’un symptôme parmi d’autres de l’obsolescence et de la médiocrité des conditions qui leur sont faites en sélection. Une prise de conscience remontant au Mondial 2019 organisé dans l’Hexagone, où le déficit d’image de la sélectionneuse (Diacre s’en fout complètement) a coûté cher aux Bleues et où une erreur de ligne dans un tableau Excel avait envoyé les Tricolores face aux grandes favorites américaines dès les quarts de finale, l’élimination (2-1) précoce amoindrissant considérablement l’écho de la compétition en France.
Fantôme d’une affaire
Diacre, elle, racontera une autre histoire, qu’elle a esquissée mercredi dans un communiqué : «Depuis plus de dix jours, je fais l’objet d’une campagne de dénigrement qui stupéfie par sa violence et sa malhonnêteté. […] Je ne me laisserai pas atteindre par cette opération de déstabilisation, qui ne prend pas en compte mon bilan sportif (près de 80 % de victoires, le record chez les Bleues) et qui a pour seul objectif un règlement de compte personnel.» Où l’on revoit surgir le fantôme d’une affaire qui gangrène le foot féminin tricolore depuis dix-huit mois : Diani et Katoto ont voulu sa peau juste après que Diacre eut rappelé en sélection Kheira Hamraoui pour la première fois depuis que celle-ci a subi une violente agression à la barre de fer, agression dont est soupçonnée Aminata Diallo, très proche des deux attaquantes parisiennes.
Pour l’heure, Diacre, qui se dit en privé forte du soutien de la grande majorité des joueuses, ne peut plus utiliser ce genre d’argument pour sauver son poste mais pour faire gonfler ses indemnités de licenciement, ce qui est de bonne guerre. Seule entraîneuse à ce jour à s’être imposée à la tête d’un effectif professionnel masculin (au Clermont Foot, en Ligue 2), il paraît quelque peu paradoxal qu’elle soit sacrifiée sur l’autel du modernisme et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Il en va du versant féminin du foot comme de son pendant masculin : il surprend toujours.
Mis à jour à 18h50 avec l’analyse de notre journaliste Grégory Schneider