Un manque «d’humanité» dénoncé jusqu’au gouvernement. Après la diffusion jeudi soir d’un documentaire de Complément d’enquête sur le Qatar et l’organisation de la Coupe du Monde, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra s’est dit «choquée» par l’attitude du président de la Fédération française de football.
Dans le reportage, Noël Le Graët réagit à une série d’images tournées à Doha. Les journalistes de Complément d’enquête sont allés dans le cliquant hôtel cinq étoiles Al Messila, où l’équipe de France aura ses quartiers lors de la Coupe du Monde. Un lieu d’hébergement luxueux, «l’endroit idéal» se félicitaient Noël Le Graët et Didier Deschamps quand ils l’avaient visité plus tôt dans l’année. L’hôtel fait par ailleurs partie d’une liste de logements agréés par la Fifa à Doha qui garantit ni travail forcé, ni violation des droits de l’homme.
Si d’apparences tout semble sur place parfait, Complément d’enquête s’est intéressé aux agents de sécurité qui travaillent dans le complexe. Employés par la société United Security Services, ils sont hébergés dans la zone industrielle de Doha et vivent dans une grande insalubrité. A l’extérieur de leur logement, la rue est faite de boue et de détritus en tout genre. A l’intérieur, ces travailleurs étrangers vivent dans de petites chambres où ils dorment à quatre, loin des six mètres carrés par personne exigés par les autorités qataries. La cuisine ressemble plus à un dépôt qu’autre chose. Quant à la salle de bain, elle est recouverte de crasse et des cafards s’y baladent. Selon Complément d’enquête, certains des employés de cette entreprise ont par ailleurs vu leur passeport confisqué par leur employeur et sont parfois privés de jour de repos.
«Juste un coup de peinture»
Confronté aux images dans ses locaux parisiens, Noël Le Graët reste dans le déni : «Ce n’est pas insalubre, ça, c’est juste un coup de peinture. Il y a encore le temps de réparer ça.» Puis en remet une couche : «Je peux vous montrer plein d’images comme ça dans plein de pays, même peut-être pas très loin d’ici.» Quant à l’organisation de la Coupe du Monde au Qatar, s’il reconnaît qu’il «il y a des progrès immenses encore à réaliser», selon lui, «s’il n’y avait pas eu le foot, ça aurait été pire». Pas de raison, donc, de crier au scandale.
"Ce n’est pas insoluble, c’est juste un coup de peinture"
— franceinfo plus (@franceinfoplus) October 13, 2022
Interrogé par les équipes de @Cdenquete, le président de la #FFF Noël Le Graët a réagi aux conditions des travailleurs sur place au Qatar et notamment les agents de sécurité présents dans l’hôtel des bleus lors du Mondial pic.twitter.com/LV0cNWD2IE
«Cette réaction m’a choquée, j’ai trouvé qu’elle était hors-sol […] qu’elle manquait d’humanité et même de lucidité», a dénoncé ce vendredi matin Amélie Oudéa-Castéra sur RTL. La ministre des Sports ajoute qu’«il faut que la FFF prenne sa part de responsabilité et fasse tout ce qui est en sa capacité que sur le sujet des conditions de travail, du respect des droits humains sur son camp de base, la situation s’améliore. Par rapport aux images très choquantes qu’on a vues hier, des réactions s’imposent».
Ces images sont d’autant plus dérangeantes pour les Bleus qu’interrogé en mai lors d’une conférence de presse sur le sujet, Didier Deschamps lâchait : «La Fédération française [de football] a fait les démarches nécessaires comme toutes les nations pour faire en sorte d’être vigilants et attentifs à cette situation là-bas.» La vigilance en question n’était, selon Complément d’enquête, qu’un simple questionnaire envoyé à l’hôtel dans lequel l’entreprise devait déclarer «respecter les normes de bien-être des travailleurs».
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Alertée par Complément d’enquête, la FFF a finalement décidé de changer de société de sécurité «après avoir constaté que celle-ci se livrait à de nombreuses irrégularités inacceptables concernant le respect des droits de ses travailleurs (non-respect des conditions de logements décentes, rétention des passeports, non-respect des jours de repos)».
«Ils doivent faire le job»
La pression se fait de plus en plus forte depuis plusieurs semaines sur la fédération. Début octobre, Amélie Oudéa-Castéra avait adressé un courrier à la FFF lui demandant de fournir des preuves de son action concernant les droits de l’homme lors de la Coupe du monde au Qatar. «J’ai eu un premier retour qui honnêtement n’a pas levé les doutes, donc je ne vais pas les lâcher sur le sujet, a expliqué la ministre ce vendredi. Je veux qu’on soit vigilant et irréprochable […]. Ils doivent faire le job.»
Amélie Oudéa-Castéra a par ailleurs affirmé qu’elle tirerait toutes les conséquences de la mission d’audit en cours à la FFF, alors que de nouveaux témoignages anonymes d’ex-salariées divulgués par Radio France mercredi ont évoqué un comportement «inapproprié» de Noël Le Graët, ce qu’il «conteste fermement». «Je veux que cette fédération soit exemplaire dans la manière dont elle s’empare de cet enjeu majeur», a dit la ministre, en référence aux violences à caractère sexistes et sexuelles. «On va mener ce travail (d’audit) de manière indépendante dans le respect du contradictoire, avec méthode» et «ma main ne tremblera pas au moment d’en tirer toutes les conclusions».