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La mort de Franz Beckenbauer vue de Berlin : «Il a fait plus pour l’image des Allemands que la diplomatie en 50 ans»

«Lumière du foot allemand», l’homme grandi au milieu des ruines de Munich était plus qu’un footballeur : il a permis à son pays de présenter une image légère et ouverte sur le monde.
Sacré comme capitaine en 1974, Franz Beckenbauer a entraîné l'équipe d'Allemagne, championne du monde en 1990. (Bongarts/Getty Images.AFP)
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 9 janvier 2024 à 9h06

Il était tout ce que les Allemands rêvaient d’être : élégant, rayonnant, léger, désinvolte, plein de réussite et surtout ouvert sur le monde. S’il avait un fort accent bavarois, très «provincial» pour les Allemands, il avait aussi un charisme qui lui donnait une carrure internationale. Comme l’avait formulé un commentateur de foot, Franz Beckenbauer était la «lumière du football allemand».

Il était plus qu’un simple footballeur. «Il a fait plus pour l’image des Allemands à l’étranger que la diplomatie en 50 ans et 10 instituts Goethe», estimait l’écrivain viennois Andre Heller, ancien coordinateur culturel de la Coupe du monde de football en Allemagne en 2006, dont Franz Beckenbauer a été l’architecte. «Il était un héros allemand qui ne faisait pas peur à l’étranger», analyse le romancier bavarois Albert Ostermaier. «A-t-on encore besoin d’un chancelier quand on a notre Franz ?», ironisait quant à lui le célèbre animateur de télévision Harald Schmidt.

«De petit-bourgeois à empereur»

Né à Munich le 11 septembre 1945, Franz Beckenbauer était tout sauf un chauviniste. Sa mère lui inculque des valeurs qui n’étaient pas courantes dans l’Allemagne d’après-guerre. «Elle disait qu’il n’y avait que des êtres humains sur terre, quelles que soient leur couleur de peau, leur religion ou leur orientation sexuelle», raconte son frère Walter dans une biographie diffusée sur la première chaîne de la télévision publique (ARD), programmée, hasard du calendrier, le jour de l’annonce de sa mort.

Franz Beckenbauer, père de trois enfants à 23 ans, était d’abord un footballeur exceptionnel. Sa carrière commence dans la rue et dans la simplicité. Dans les années 50, ce fils de postier joue au foot sur les terrains vagues du quartier ouvrier de Giesing, au milieu des ruines de l’après-guerre. «De petit-bourgeois, il a réussi à grimper l’échelle sociale pour devenir empereur», a décrit un jour l’historien de l’art Horst Bredekamp. Il marquera surtout l’histoire du FC Bayern, où il jouera de 1959 à 1977 dans l’équipe première, puis qu’il présidera de 1994 à 2009. Il y était entrait à 14 ans, à une époque où les maillots des joueurs ne portent pas encore le nom de sponsors. Il remportera avec le club - encore très modeste à l’époque - quatre fois le championnat (1969, 1972, 1973 et 1974). Avec l’équipe nationale allemande, il gagnera la coupe du monde comme joueur mais aussi comme entraîneur, un exploit réalisé par le Brésilien Mário Zagallo (mort la veille de la disparition du Kaiser) et le Français Didier Deschamps. «Son jeu était tellement parfait qu’il en devenait presque arrogant», raconte Sepp Maier, gardien de but légendaire du Bayern de Munich et de la Mannschaft.

«Conte de fées estival»

Son départ aux Etats-Unis, en 1977, est une coupure dans sa vie. Son transfert au club américain du Cosmos New York est vécu comme une trahison par les Allemands. Mais il découvre enfin le monde ! Il peut enfin se balader dans la rue sans être reconnu, aller à l’opéra, au restaurant sans être dérangé. «Même à Central Park, pas une seule personne ne l’a reconnu», se souvient sur l’ARD son frère.

Quand il revient en Allemagne, il achève sa carrière à Hambourg, comme joueur. Personne ne s’imagine alors qu’il deviendra plus tard entraîneur de la Mannschaft puis l’organisateur de la Coupe du monde de football en Allemagne en 2006. Ce sera un «conte de fées estival», se souviennent les Allemands qui s’étaient présentés au monde entier à l’image de leur idole : légers et ouverts sur le monde.

Après les révélations du Spiegel, qui affirme qu’il a corrompu quatre membres de la Fifa pour obtenir l’organisation de la Coupe du monde en Allemagne, il se retire de la vie publique. Il a été également très critiqué pour son soutien au Qatar comme membre du comité exécutif de la FIFA (2007-2011), notamment après avoir déclaré qu’il n’avait «jamais vu un seul esclave» sur les chantiers de l’émirat.

«Il était la fierté et la figure de la Coupe du monde en Allemagne, il est devenu la figure de la corruption dans le football», résume Albert Ostermaier. La mort de son fils en 2015, à l’âge de 47 ans, sera une autre césure dans sa vie. Stephan Beckenbauer était le seul de ses nombreux enfants, issus de plusieurs mariages et d’une liaison extraconjugale, à avoir choisi une carrière de footballeur.