L’Euro, après l’année brumeuse du football sous Covid, pouvait-il échapper à l’équipe la plus enjouée du tournoi ? Une équipe qui réussit en un mois la révolte contre les dogmes ancestraux, puis la contre-révolution générale. L’Italie n’est pas qu’affaire de jeu, celui du triomphe, celui de la rouerie, c’est aussi ces visages. Les émotions y sont écrites, il n’y a qu’à les lire, et elles ont défilé sous toutes leurs formes durant cette finale. De ce but encaissé à la deuxième minute jusqu’à cette séance de penalties. A Wembley, limité à 66 000 âmes mais qui semble déborder, l’Italie est devenue championne d’Europe. Et l’histoire bégaye. Encore. Toujours : l’Angleterre a de nouveau perdu dans l’exercice des tirs au but.
Avant-match
Cette Angleterre n’était pas la plus douée de son histoire. Ni la plus revêche. Elle s’est construite toute seule, a avancé depuis son premier match contre la Croatie sans se retourner. Sans zieuter ni les concurrents ni les critiques, qu’elle a mis en sourdine depuis sa victoire contre la malédiction allemande en huitième de finale. Mais l’entraîneur Gareth Southgate, qui a longé les frontières de la bienséance tout au long de la campagne, a ce dimanche soir mis définitivement fin aux politesses : cinq purs défenseurs, un double pivot à vocation défensive (Kalvin Phillips et Declan Rice, 0 match européen à eux deux) pour cimenter un peu plus, sait-on jamais, et deux attaquants (Harry Kane et Raheem Sterling) lâchés comme des chameaux dans le désert. La négation du foot, la frayeur, la clairvoyance ?
La lutte prend corps
Toujours est-il que les joueurs font bien ce qu’ils veulent sur un terrain, et le coup d’envoi à peine donné, les Italiens se figent. Luke Shaw, arrière latérale, se trouve à cinq mètres de Donnarumma. L’Anglais, passé tout près de perdre sa jambe à 20 ans après une double fracture, moqué pour son poids, cingle une volée du gauche qui troue le gardien italien. Comme contre l’Ukraine, les Anglais partent tout à trac. Le moral italien tombe comme un plomb : jamais, les Transalpins n’ont été menés. Ils ne savent pas : comment réagir ?
La lutte, que l’on annonçait physique, c’est la loi des finales, prend corps. Les heurts s’accumulent, le match se hachure, l’arbitre, le Néerlandais Bjorn Kuipers, ne sait pas s’il doit faire respirer le jeu ou agiter son sifflet. Les Anglais profitent avec parcimonie des appels d’air sur le flanc gauche adverse quitté sur blessure par le meilleur joueur italien du tournoi, Leonardo Spinazzola, depuis le quart contre la Belgique. La Squadra Azzurra, saisie par le doute, murmure son jeu diapré. Ce pressing perforant. Ce rythme dégoulinant. Comme si l’Espagne, face à laquelle elle avait comme contre-révolutionné son jeu, l’avait laissé sans repère. A la vingtième minute, Jorginho, qui est à son équipe ce que le poitrail est au coursier, reste à terre. Il ne reste plus que Federico Chiesa pour sonner le clairon (une frappe soudaine après avoir enrhumé deux adversaires) face à des Anglais qui ont terminé leur créneau. Le bus est bien garé devant les buts de Jordan Pickford.
Au retour des vestiaires, Sterling tente le même coup que contre le Danemark : il dégringole dans la surface, mais c’est vraiment trop gros. Barella, Verratti font tourner le ballon et, peu à peu, on le sent, la foi ne les a pas complètement quittés. Il y a des percées d’espoir. Rien d’irradiant mais il en faut peu. A vrai dire, une jambe, celle de Leonardo Bonucci, un loubard, un madré, l’Italie de la ruse, de l’expérience, l’Italie qui a déjà connu tout ça, l’Italie qui fouette la balle dans les filets de Pickford.
Reportage
Comme un fils
Ensuite : les lumières reviennent. La Nazionale se souvient. Bonucci a réveillé son équipe, envapée dans de mauvais rêves. Elle débobine son jeu, trouve les espaces délaissés par John Stones et consorts. Berardi devance Pickford mais pas assez pour rabattre le ballon. Il y a la place pour quelque chose. Mais la Squadra Azzurra préfère demander aux Anglais : qu’avez-vous dans le bide ? Pas grand-chose. Une percée de Sterling en une mi-temps, ce n’est pas maigre : c’est le néant. Même quand Saka veut se faire la malle, Chiellini le collette comme un fils : reviens là.
La prolongation voit une petite rébellion des Anglais. Ils sont en finale, chez eux, tout de même. Southgate, congestionné dans son plan ciment, tarde à envoyer ses tricoteurs. Il finit par lancer Jack Grealish, qui dispose d’une cote de popularité inversement proportionnelle à son temps de jeu, et insuffle un peu d’air frais. Une prolongation qui distille de la folie en grains très fins. Mais le match ne commandait pas autre chose. L’Italie est consommée de fatigue, l’Angleterre a peu à donner. Les tirs au but pour décider de l’histoire. La Squadra, portée par Donnarumma, y entre. Les jeunes Rashford, Sancho et Saka se loupent : l’Angleterre se fait claquer la porte au nez.