En route pour la Ligue 2 à tombeau ouvert, l’Olympique lyonnais fera une halte ce dimanche 29 octobre au Stade Vélodrome comme on traverse une station du chemin de croix biblique : l’OL est renié, l’OL tombe pour la troisième fois, l’OL est crucifié, etc. On se perd à suivre les circonvolutions d’un club qui, faut-il le rappeler, disputait une demi-finale de Ligue des champions voilà trois saisons. Il y a cependant une constante, un infrason qui ramène toujours l’observateur au point d’origine : la coulisse a dévoré le terrain.
Et l’équipe est en lambeaux : 3 points en neuf matchs, ce qui mettrait déjà le feu dans des clubs n’ayant pas le dixième de la surface financière du mastodonte rhodanien. Un coach (Laurent Blanc) viré et son successeur, l’Italien Fabio Grosso, déjà dans la seringue selon le Progrès : l’ex-champion du monde 2006 a deux matchs, trois tout au plus avant de vider son casier à son tour en cas de malheur. Et, dans le contexte, une telle éventualité passerait presque inaperçue.
«Le vestiaire est un lieu où l’on construit notre futur»
Parce qu’à ce stade, les avanies qui s’abattent sur le club rhodanien sont quotidiennes ou presque. Samedi 28 octobre, Santiago Cucci, président exécutif depuis mi-juillet en remplacement de l’historique Jean-Michel Aulas, a annoncé qu’il quittait le club. «C’était prévu comme ça», a t-il expliqué dans l’Equipe, mais la brièveté de son mandat dans un tel climat interroge un peu quand même. Dimanche 22 octobre, après que Clermont est venu donner une leçon de football (2-1) aux locaux, le président américain John Textor qualifiait de perspective «comique» une éventuelle descente en Ligue 2 («cette équipe ne risque pas la relégation»). Avant, ce que peu auront noté, de se foutre de la gueule de la DNCG (le gendarme financier du football français) qui, faut-il le rappeler, a interdit le club de recrutement faute de garanties bancaires suffisantes : «Ils vont être impressionnés par la manière dont on travaille au niveau du club.» Mardi, le consultant de RMC Jérôme Rothen affirmait, peut-être pour rire, avoir joint des joueurs «expérimentés, voire très expérimentés» de l’équipe lyonnaise, lesquels lui auraient expliqué que Grosso était «l’entraîneur le plus nul» qu’ils aient jamais croisé. Le lendemain, ce même Grosso, sérieux comme un pape, réunissait les joueurs dans l’espoir d’en savoir plus long sur l’origine des éventuelles fuites, étant entendu qu’il y a trois possibilités (les internationaux tricolores Alexandre Lacazette et Corentin Tolisso, le gardien Anthony Lopes) pour peu que Rothen n’ait pas quelque peu poussé le bouchon.
Faute de coupable se dénonçant, Grosso a renvoyé ses joueurs chez eux en annulant l’entraînement, une source nous affirmant cependant qu’il l’aurait sans doute annulé de toute façon parce que les joueurs avaient passé la journée sur zone. Vendredi, Grosso est passé devant les micros. Le Romain n’a pas démenti avoir fait la chasse à l’informateur, ce qui laisse planer un doute sur le sens de priorité d’un entraîneur qui, à ce stade, n’aura pris qu’un point (3-3 devant Lorient, alors relégable) en quatre matchs : «Le vestiaire est un lieu où l’on construit notre futur. C’est difficile de construire, alors si on se met en danger [en faisant sortir des conversations ou sentiments, ndlr], ce n’est pas bon. A la fin de la réunion avec les joueurs, j’ai pensé que ce n’était pas fondamental de faire un entraînement en plus. Le plus important était de se dire les choses. Et on est allé de l’avant.»
Contenance d’un autre temps
Puis : «Pour moi, le vestiaire est quelque chose de sacré. Les choses du vestiaire ne doivent pas sortir. Je n’aime pas faire du théâtre, j’aime faire mon travail au maximum de mes capacités.» Le défenseur Henrique Silva Milagres dit Henrique, quelques minutes plus tôt : «C’est le moment le plus compliqué de ma carrière, effectivement. Ça fait mal d’être dernier au classement. On est tous dans la sauce.» Son entraîneur plus qu’un autre. Comme Laurent Blanc avant lui, le coach italien s’est étonné non pas du peu d’entrain mis par ses joueurs à l’entraînement, parce qu’il s’y attendait, mais des postures et exigences plus ou moins exprimées de certains, en décalage à la fois avec sa vision à l’italienne (c’est-à-dire verticale, le joueur obéit) et la situation objective de joueurs qui ne font plus que perdre. Au fond, Grosso est le témoin impuissant, un de plus, de la chute de la maison rhodanienne. Une contenance d’un autre temps, comme un vestige, alors que l’équipe est saignée à blanc : depuis deux saisons, chaque joueur bankable étant transféré à la vitesse de la lumière (Malo Gusto et Bradley Barcola après six petits mois en Ligue 1 seulement, Castello Lukeba au bout d’une saison complète) pour être remplacé par des types mystérieux qui ont tout au plus ciré les bancs dans des clubs de milieu de tableau espagnol ou anglais.
Il n’y a pas de miracle. Pas plus à Lyon qu’ailleurs. Mais ceux-là donnent l’impression d’en attendre un quand même. Avant d’être viré mi-septembre, Laurent Blanc l’a expliqué sur tous les tons. Son prédécesseur, Peter Bosz, n’avait rien dit mais il n’en pensait pas moins. Il caracole aujourd’hui en tête du championnat néerlandais et prend des points en Ligue des champions avec le PSV Eindhoven. Dans les décombres lyonnais, une trace des splendeurs passées, dernier signe d’une richesse à la fois présumée et enfuie : le meneur de jeu Rayan Cherki, dernier descendant de la riche tradition formatrice lyonnaise. Une authentique star, couvée comme les plus grands, adoré par le sélectionneur des espoirs tricolores Thierry Henry, qui n’oublie pas de l’engueuler quand même. Mais une star compilant zéro but et zéro passe décisive depuis deux mois et demi que la Ligue 1 a repris. Devant Clermont, Grosso l’a sorti à la mi-temps, ulcéré par l’attitude d’un joueur qui faisait tout le contraire de ce que l’entraîneur lui avait demandé. Il pourra prendre le temps de méditer ce week-end sur ce que le talent permet de faire ou non : Grosso a choisi de ne pas l’emmener à Marseille dimanche.