Premier match à domicile pour Lorient cette année. Il est 13h30, et, après une forte pluie, le soleil fait son apparition au-dessus du Moustoir, le stade dans lequel évoluent les «Merlus». Coup de bol, on est même samedi – alors que les huit autres affiches de Ligue 2 ont désormais lieu en semaine. Les grilles du stade s’ouvrent au son d’une corne de brume. Sur place, ils sont une dizaine de milliers à venir assister à la rencontre face à Grenoble. Tous les ingrédients paraissent au rendez-vous pour laisser penser à une rencontre de football enjouée. Puis le coup de sifflet retentit, et Le Moustoir se tait.
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On ne s’attendait ni à Anfield ni à la Bombonera, mais tout de même : l’ambiance est glaciale. «Le foot, c’est le week-end, à des horaires décents», lit-on sur une banderole dans la tribune des ultras locaux, puis «beIn Sports tue la Ligue 2» sur une seconde. Les revendications du genre rythmeront tout le match. Pendant de longues minutes, le silence est pesant. Puis un «beIn, beIn, on t’encule» résonne, entonné par les supporteurs grenoblois qui ont fait le déplacement, acclamés par les Lorientais.
Impossible de les rater dans les stades de Ligue 2 : banderoles hostiles à la chaîne beIn (qui vient d’acquérir la majorité des droits de diffusion du championnat) ou à la Ligue de football professionnel (LFP) habillent les différents gradins depuis la reprise de la saison, le 16 août. Plus tôt dans le mois, un communiqué d’une vingtaine de groupes de supporteurs annonçait une grève reconductible «de toutes leurs activités d’animation en tribune» pour marquer leur opposition à la nouvelle programmation des matchs. Car désormais, selon la volonté de beIn, l’essentiel des rencontres est joué le vendredi, contre une seule le samedi, et le reste le lundi. De 2020 à 2024, avec Amazon pour diffuseur, les adeptes de football se plaisaient à se rendre au stade le week-end.
«La reprise se fera dans un silence à la hauteur de notre exaspération», avançaient encore les supporteurs en début de mois, tout en annonçant «se réserver le droit de recourir à toute action visant à perturber la diffusion des rencontres par BeInSports pour faire entendre nos voix». Vendredi soir encore, avec leur pancarte «beIn Sports tue la Ligue 2» tendue devant la caméra de la chaîne, les supporteurs de Pau ont temporairement empêché la diffusion du match contre Caen vendredi.
«Les vendredis, c’est mort»
La colère des supporteurs s’est donc bien fait entendre samedi à Lorient – entre soutien aux autres clubs dont les matchs ont été programmés en semaine et appréhension des semaines à venir. Et ce, avant même la rencontre, avec la dégradation de deux camions régie de beIn, quelques heures avant le coup d’envoi. Des individus «agissant à visage dissimulé» ont notamment jeté de la peinture, «endommagé du matériel audiovisuel» et «usé de fumigène avant de prendre la fuite, tout en emportant apparemment certains matériels», mentionne à Libé le parquet de Lorient.
Au Moustoir, pendant la rencontre, les Lorientais ne cachent pas leur agacement. Yann, lunettes de soleil et casquette noire vissée sur le crâne, est venu avec son fils. Entre deux gorgées de Breizh Cola, le quadragénaire explique qu’il ne pourra plus se rendre aussi fréquemment que d’habitude dans les tribunes qu’il fréquente depuis une dizaine d’années. «Je travaille, j’ai des enfants, j’habite à une heure de voiture du stade, justifie-t-il. Je ne venais déjà pas si souvent, mais maintenant, les vendredis, c’est mort.» Et il n’est pas le seul dans ce cas.
«Le foot en semaine, c’est non, on n’est ni les toutous, ni les vaches à lait de la LFP et de beIn Sports», confirme Mickael Rougier, capo des Breizh Tango de Lorient. «Aujourd’hui on se retrouve à 40 % du taux de remplissage du groupe, alors que d’habitude on est plutôt à 80 % : c’est nullissime, regrette l’homme de 32 ans qui arbore un maillot de Lorient. On commence à se poser des questions pour la suite de la saison. Si ça ne change pas, on va vraiment être dans la merde.»
Un match aux airs de manifestation
Pendant ce temps, sur la pelouse, le match suit son cours, accompagné de rares applaudissements lors des actions les plus tendues, et, surtout, de nouveaux chants contre le diffuseur. On s’y habitue presque, avant que, vers la vingtième minute une nouvelle banderole ne soit tendue par les ultras lorientais : «Le foot le week-end, c’est de la balle.» Un message que les Merlus justifient dans les minutes qui suivent, en lançant une pluie de balles de tennis sur le stade – méthode déjà employée à Metz la semaine passée. Un fumigène est également lancé, mais la rencontre continue. Puis les supporteurs grenoblois s’y mettent aussi, avec les mêmes méthodes, et la partie est arrêtée près d’une demi-heure.
A la reprise, le speaker explique aux supporteurs qu’en cas de nouveau débordement, le match pourrait être définitivement interrompu. Il ne le sera pas. Les soixante minutes restantes se déroulent sans projectile, mais les chants se poursuivent. Si la rivalité du terrain se retrouve habituellement entre supporteurs dans les tribunes, cette fois, Lorientais et Grenoblois ne se répondent pas, ils s’accompagnent, et lancent en canon «Houzot [directeur de l’antenne de beIn, ndlr], écoutez, le foot c’est le week-end» d’un bout à l’autre du stade. Un ballon mal cadré parti du côté des ultras Merlus donne lieu à une partie de volley en tribunes. Dans un duel suivi d’un œil face aux différentes actions des supporteurs, Lorient s’impose 2-0.
«Pour nous c’est l’opération parfaite, résume Titouan, 24 ans. En cas d’interruption totale du match, on se prenait le 3-0 réglementaire dans la gueule. Là, on arrive même à avoir la victoire au bout, et les gens se rendent compte que sans supporteurs, il n’y a pas d’ambiance.» «Le but n’était pas d’être violent, explique son ami ultra Enzo. On le fait à contrecœur, mais ça nous permet de nous faire entendre.» Spectateur assidu des Lorientais, il est directement touché par la nouvelle programmation de beIn : «Je suis restaurateur à Rennes, donc entre mon travail et le transport je devrais me contenter d’arriver à la deuxième mi-temps à chaque match.» S’il espère pouvoir de nouveau se rendre au stade les week-ends, l’ultra ironise : «Dans le pire des cas, on se met au tennis ou au volley pour de bon. Ce soir, on a fait nos JO.»
Mise à jour dimanche à midi avec le reportage complet.