Paradoxale sur bien des points, bonne à prendre en l’absence d’équipes dominantes depuis l’élimination de l’Inter Milan en mars et du Manchester City de Pep Guardiola en avril, la Ligue des champions 2023-2024 connaîtra son épilogue ce samedi 1er juin à Wembley. Et d’où qu’on se tourne, elle aura appartenu ces derniers mois au défenseur allemand du Borussia Dortmund Mats Hummels, qui aura donné le tempo médiatique. Donnant l’impression de fomenter depuis l’est du bassin de la Ruhr on ne sait quelle révolution, entre revendication identitaire (arrêtez de nous prendre pour des cons) et volonté d’incarner quelque chose au-delà de lui-même et du club qui l’emploie.
Le 28 novembre, une chope à la main dans les couloirs du stade San Siro après que le club allemand eut fracassé (3-1) le Milan AC, Hummels ironisait déjà sur le penalty qui, à plus de mille kilomètres de là, avait sauvé le Paris-SG devant les Anglais de Newcastle : «Et il était comment celui-là ? Imaginaire, comme les autres ?» Quelques mois plus tard, entre les deux demi-finales remportées 1-0 contre ce même Paris-SG, il fustigeait la paresse des superstars parisiennes, manière de se mettre dans le camp hautement méritoire d’on ne sait quels damnés de la planète foot. Et le lendemain de la qualification au Parc des princes, l’international allemand, laissé de côté par son sélectionneur Julian Nagelsmann lors du prochain Euro à son grand écœurement, s’est fendu d’un tweet rageur : «Beaucoup d’équipes voulaient jouer contre nous [cette saison en Ligue des champions, manière de dire que les autres les ont pris à la légère, ndlr]. Heureusement, nous sommes des gars vraiment sympas et nous avons atteint la finale pour que le plus grand nombre possible d’entre elles aient leur chance.»
«Tout le monde nous décrit comme des outsiders»
C’est le Real Madrid, quatorze Ligues des champions à la ceinture en plus des scalps de Manchester City et du Bayern Munich éliminés lors des deux tours précédents, qui se dressera samedi contre Hummels et les «gars vraiment sympas». On peut le prendre par tous les bouts, ne pas tomber dans le panneau de l’histoire de David contre Goliath (400 millions d’euros de budget annuel annoncés par le club allemand quand même) et relativiser les postures de martyr d’Hummels : à l’échelle du club privé que constituent les prétendants à la Ligue des champions, où le ticket d’entrée tourne habituellement autour du demi-milliard d’euros de budget, le Borussia Dortmund est un club différent. Comme peuvent l’être le FC Porto ou l’Ajax d’Amsterdam par exemple : des équipes soumises à des cycles sportifs quand les grands de ce monde ont les moyens d’être en permanence sur la ligne de crête. Et qui, à ce titre, passent une tête tous les vingt ans pour dire, non, hurler qu’elles existent, malgré les quelques joueurs de guingois qu’elles alignent, untel qui a raté son début de carrière (Niclas Füllkrug, toujours en Ligue 2 à 27 ans) ou tel autre qui rate à l’inverse sa sortie (Marco Reus, 48 sélections en équipe d’Allemagne, qui ne joue plus que les utilités).
Et ceux-là n’ont pas les mêmes mots que les autres. «Disputer une finale de Ligue des champions dans un stade pareil est quelque chose dont on rêve quand on est enfant, explique l’attaquant néerlandais Donyell Malen. C’est quelque chose auquel on pense toute sa vie. Tout le monde nous décrit comme des outsiders, c’est ok mais ça n’est pas important. C’est une finale, il n’y a plus qu’un match à gagner…» «Nous allons peut-être souffrir dans ce match, devoir défendre en équipe, se projette le milieu Emre Can. Mais nous le savons et nous pouvons le faire. Nous devons essayer de jouer le plus normalement possible. Le Real Madrid est une équipe qui sait gagner, et comment. Nous n’avons que quelques joueurs dans l’équipe qui ont joué une finale de Ligue des champions [trois, ndlr]. La plus grande différence est peut-être l’expérience.»
Pression à nulle autre pareille
Celle du Real vaut mille ans d’âge. Et il ne faut pas se tromper. Même le surplus de rage, de volonté, a toutes les chances d’appartenir d’abord aux Madrilènes, qui n’en finissent plus cette saison de faire tourner les matchs au bout du bout sans que personne n’y comprenne rien. Sauf à penser qu’il en va du supplément d’âme, de courage ou d’énergie comme de tout le reste, des qualités techniques jusqu’aux prédispositions physiques en passant par l’intelligence de jeu : un truc qui se paye au prix fort sur le marché des transferts. Et qui appartient avant tout aux plus grands joueurs du monde, les Luka Modric, Jude Bellingham et autres Vinicius Júnior, tous millionnaires à 18 ans et n’ayant jamais eu la moindre chance d’emprunter les itinéraires bis d’un Füllkrug.
La cause défendue par les joueurs madrilènes, ce n’est pas le petit peuple du jeu. C’est le club merengue et rien au-delà. Leur moteur, ils l’avaient déjà en arrivant dans la Maison blanche, attisé depuis par une pression à nulle autre pareille, qui a fini par pousser Zinédine Zidane lui-même à jeter l’éponge en 2018, vexé par des remises en causes incessantes alors qu’il entassait les victoires et les titres. Les lignes ont quelque peu bougé cette saison sur le front de la Ligue des champions ; deux clubs de la surpuissante Premier League anglaise au tapis dès le premier tour (sans précédent), un club danois (le FC Copenhague) en huitième de finale, le Paris-SG qui boucle un exercice avec cinq défaites. Le Borussia Dortmund-Real Madrid de samedi dira jusqu’où.