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Conf de presse

L’international français Marcus Thuram prend la parole contre le RN : «Il faut qu’on se batte pour empêcher ça»

Euro de Football 2024dossier
En prenant la parole sur la situation politique en France, l’attaquant des Bleus, fils de Lilian, a fait exploser le cadre des prises de position un peu tièdes qui caractérisent habituellement les communications des joueurs tricolores. Dimanche, veille du premier match de l’équipe de France, Didier Deschamps et Kylian Mbappé seront amenés à s’exprimer sur le sujet.
Marcus Thuram et Kylian Mbappé lors d'une séance d'entraînement à Clairefontaine-en-Yvelines, le 1er juin 2024. (Franck Fife/AFP)
publié le 15 juin 2024 à 13h45

«Je pense que la situation politique en France est triste, qu’elle est très grave. J’ai appris le résultat des élections européennes [dimanche soir, avec le Rassemblement national largement en tête avec 31,4 % des suffrages, ndlr] après le match contre le Canada à Bordeaux, et on était tous choqué dans le vestiaire. Ce résultat n’est pas non plus arrivé par hasard. Il y a des messages qui sont passés quotidiennement, dans certaines émissions de télés, pour aider cette idéologie-là. Il faut qu’on se batte pour empêcher ça.»

L’attaquant des Bleus Marcus Thuram, fils de Lilian, était de service devant les médias samedi au stade de Paderborn (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Son prédécesseur sur l’estrade, le défenseur Théo Hernandez, n’avait même pas été lancé sur le sujet politique : pour avoir grandi de l’autre côté des Pyrénées avant d’émigrer en Italie au Milan AC, il n’avait aucune raison d’avoir quoi que ce soit à dire sur le contexte politique français.

Surtout, hormis Ousmane Dembélé jeudi, les journalistes présents se font servir depuis trois jours la même tambouille un peu tiède : «Si j’ai un conseil à donner, c’est d’aller voter, 50 % d’abstention [lors des européennes], ce n’est pas normal, mais je n’ai pas à donner de précision sur mes tendances politiques ou quoi que ce soit d’autre.» On cite ici l’attaquant Olivier Giroud, mais Ferland Mendy ou Benjamin Pavard ont eu à peu près les mêmes mots. Bref : ça sentait à plein nez les éléments de langage, les conciliabules visant à lisser la communication des joueurs tricolores et, in fine, une forme de neutralité qu’on peut penser en contradiction avec les valeurs inclusives s’attachant à la haute performance (pas d’autres biais que le niveau pour juger un joueur) ou le contexte ouvert dans lesquels tous ceux-là évoluent.

Marcus Thuram a fait exploser le cadre. «En équipe de France, j’espère que tout le monde partage mon avis… Enfin non, je n’ai aucun doute sur le fait que tout le monde partage ma vision. J’ai zéro doute. Après, on est dans un pays libre, où chacun fait ce qu’il veut de sa parole. Je comprends [que ceux qui l’ont précédé dans l’exercice médiatique] viennent dire ‘’allez voter‘’, mais ce n’est pas suffisant. Et il faut se poser des questions sur la manière dont on en est arrivé là.» Une question est alors tombée sur une éventuelle position collective adoptée par les joueurs avant le 30 juin, jour du premier tour des législatives anticipées. «Il n’y en aura pas, parce que chacun est libre de dire ce qu’il veut. Vous savez, les joueurs peuvent penser quelque chose et ne pas le dire. Moi oui. Grâce à mon père, à l’éducation que j’ai reçue, je peux le dire. Je n’ai pas souvenir d’événements particuliers, vécus avec mon père ou non, qui m’ait conduit à être ce que je suis. On parle juste d’éducation, de sensibilisation sur ces sujets.»

«Moi, je ne trouve pas ça très compliqué de s’exprimer sur ces sujets»

Le sujet de l’exemplarité, sensible puisque la plupart des joueurs ne veulent en aucun cas être considérés comme des modèles ou des symboles, est alors arrivé sur le tapis. «Moi, je ne trouve pas ça très compliqué de s’exprimer sur ces sujets. Si ma personnalité et mon éducation me permettent de m’exprimer dans ce sens-là, je dois le faire. On a aussi les mêmes problèmes en Italie [où Georgia Meloni, qui présidait le parti d’extrême droite Frères d’Italie, est chef du gouvernement depuis octobre 2022, Thuram évoluant depuis deux saisons à l’Inter de Milan, ndlr], et même au niveau mondial. En Italie, Mike [Maignan, gardien des Bleus et du Milan AC, ndlr] a reçu des cris racistes dans le stade, il y a aussi eu des problèmes avec d’autres personnes noires… moi, je suis footballeur, je suis connu, il n’y a pas eu de soucis. Mais ils existent.» Il a été relancé sur les émissions télé, évoquées d’entrée : «Je ne parle pas d’émissions en particulier. Mais quand j’allume la télé [sur les chaînes françaises], oui, j’entends des choses qui font monter l’extrême droite.»

L’attaquant de l’Inter a aussi parlé de foot, de Mbappé entre autres, et on l’a trouvé singulièrement léger par rapport à ses dernières apparitions médiatiques, comme si le fait d’avoir pris la parole sur le sujet lui avait fait grand bien. L’entrée des Bleus en compétition est pour lundi à Düsseldorf : muet depuis le résultat des Européennes dimanche, le sélectionneur Didier Deschamps et (vraisemblablement) le capitaine des Bleus Kylian Mbappé s’exprimeront donc dimanche, veille de match. Ils seront assurément lancés sur le sujet. Le staff tricolore indique que 80 % des joueurs ont voté par procuration lors des européennes, alors que l’équipe de France se trouvait à Bordeaux. Le Consulat français de Düsseldorf leur enverra une personne dimanche pour valider les procurations qui vaudront pour les deux tours des législatives, le 30 juin et le 7 juillet.