Mais pourquoi quatorze ? Samedi 18 novembre à Nice, les Bleus ont tartiné (14-0) la sélection de Gibraltar et il subsiste, à bien y regarder, une manière de mystère. Superficiellement, on pourrait invoquer une différence de niveau et les meilleurs joueurs de la planète confrontés à des semi-amateurs (sauf qu’ils étaient rares, les joueurs sous statut amateur à porter le maillot de Gibraltar) et on tomberait dans le panneau : les Gibraltariens n’en prennent pas quatorze à chaque sortie, ils n’en prennent même pas la moitié (trois aux Pays-Bas, cinq en Grèce…), le foot valorise le principe de résistance (donc le nivellement des valeurs) et, surtout, leurs adversaires expédient le match contre Gibraltar avec le même entrain qu’une corvée ménagère, l’œil sur les trois matchs par semaine qui les attendent jusqu’à Noël et la fatigue afférente.
Or, les Bleus se sont acharnés. Et aucun n’a raconté pourquoi à la sortie, une façon aussi de décliner le fameux «ce qui se passe sur le terrain doit rester sur le terrain», espace intime paradoxal quand 5,7 millions de Français scrutent le match sur leur télé sans en perdre une miette. Intuitivement, la jeunesse de l’équipe tricolore a pu peser dans cet élan et sa constance : de Jonathan Clauss à Warren Zaïre-Emery en passant par Youssouf Fofana, Jean-Clair Todibo, Boubacar Kamara ou encore un Marcus Thuram sommé de convaincre à son nouveau poste d’avant-centre, un paquet de Français jouaient quelque chose, un statut (Thuram, Fofana) ou plus prosaïquement le fait d’être rappelé la prochaine fois (Kamara, Todibo) dans le groupe France.
Après, cette jeunesse a débordé du terrain. «A la mi-temps, les joueurs m’ont interrogé pour savoir quel était le record de buts inscrits par une équipe de France, a raconté le sélectionneur, Didier Deschamps. Ils ont fait ce qu’il fallait. Il ne faut pas le banaliser.» En creux, le portrait d’une équipe différente depuis que Kylian Mbappé s’est vu confier le brassard de capitaine, affamée d’un peu tout, depuis le moindre record qui traîne jusqu’à l’envie d’intervenir sur les sujets de société ; les Bleus s’étant par exemple prêté de bon cœur cette semaine à une série de vidéos visant à prévenir le harcèlement scolaire.
L’équipe de France s’engage pour la lutte contre le harcèlement scolaire.#NonAuHarcèlement pic.twitter.com/TdwgoGInh9
— Equipe de France ⭐⭐ (@equipedefrance) November 16, 2023
Au-delà de la jeunesse et d’une ambition débordant de partout, on confesse avoir flairé une troisième piste plus vintage, puisant plus profondément encore dans les racines du jeu. Elle prend sa source dans l’étrange propension des Gibraltariens à mettre des coups, Zaïre-Emery en ayant d’ailleurs sûrement fini avec les terrains en 2023 à la suite d’une semelle d’Ethan Santos, qui aurait pu tout aussi bien lui arracher la cheville. Durcir le jeu est un choix, en aucun cas une déviance : à l’arbitre de poser les limites. On peut cependant trouver curieux et un peu gratuit le fait de mettre l’intégrité physique des superstars tricolores en balance dans un match aussi déséquilibré, dont l’issue est connue de tous avant le coup d’envoi. Et c’est peut-être bien ça que la sélection de Gibraltar a payé.
Une sorte de police sportive visant à faire rentrer Gibraltar au Panthéon du ridicule (le record promettant de tenir longtemps dans la zone Europe) en vertu de règles non écrites mais bien connues des joueurs eux-mêmes, et à plus forte raison quand ils sont professionnels. Ça restera entre eux. Et puisqu’il s’agit là d’une réaction collective prise à la suite de coups reçus par quelques-uns d’entre eux, au premier rang desquels un Zaïre-Emery que tous ses coéquipiers s’approprient sans doute encore par la grâce de ses 17 ans, ça fait une équipe.