«En tant que footballeurs habitués à jouer au plus haut niveau, on est habitués à la douleur, on est un peu des soldats, des durs au mal, des symboles de la force physique […]. Ça fait tout de suite faible de dire qu’on est fatigué, qu’on a des migraines ou de la fatigue oculaire.» Dans une interview qui fait la une du journal L’Equipe, ce mardi 2 avril, le champion du monde français Raphaël Varane appelle à une meilleure prise en charge des commotions cérébrales dans le footballeur. Un discours rare - a fortiori de la part d’un joueur de la stature du défenseur de Manchester United - sur un sujet qui peine à émerger dans le débat public national. «Il faut parler des dangers liés au syndrome du second impact [un deuxième traumatisme crânien avant le rétablissement de la première commotion], et à la répétition des chocs à cause du jeu de tête», souligne l’homme de 30 ans, qui a pris de sa retraite en Equipe de France l’année dernière.
«Je pense que l’on pourrait limiter les têtes à l’entraînement, là où elles ne sont pas forcément nécessaires. Quand tu enchaînes les têtes sur des frappes, des dégagements ou des centres puissants, ça peut aussi créer une commotion», propose le natif de Lille, qui compte parmi les joueurs les plus titrés du XXIe siècle, du fait notamment de son passage au Real Madrid où il a joué près de 400 matchs entre 2011 et 2021. Et de confier que des spécialistes venus à la rencontre de l’effectif de Manchester United cette saison ont justement recommandé aux joueurs «de ne pas faire plus de dix têtes à l’entraînement».
Les enfants aussi devraient être davantage protégés, comme en Angleterre où le jeu de tête est carrément interdit dans les matchs des moins de 12 ans, insiste Raphaël Varane. «Mon fils de 7 ans joue au football, et je lui conseille de ne pas faire de têtes. […] Même si ça ne provoque pas de traumatisme sur le coup, on sait qu’à long terme les chocs à répétition risquent d’avoir des effets néfastes. Personnellement, je ne sais pas si je vivrai jusqu’à 100 ans, mais je sais que j’ai abîmé mon corps», ajoute-t-il.
«Tu te dis que ça peut très mal tourner»
Au-delà des dangers pour le corps, Raphaël Varane évoque aussi les conséquences sportives néfastes des commotions cérébrales. «Quand on regarde trois des pires matches de ma carrière, il y en a au moins deux avant lesquels j’avais eu une commotion quelques jours plus tôt», explique-t-il. Référence à une rencontre de Ligue des Champions avec le Real Madrid contre Manchester City, en 2020, et à l’élimination des Bleus en quart de finale de la Coupe du Monde contre l’Allemagne, six ans plus tôt. Contre le Nigeria, en huitième de finale, il avait subi un choc à la tête. «Je termine le match mais je suis en mode pilote automatique. Si quelqu’un m’avait parlé à ce moment-là, je ne sais même pas si j’aurais été capable de répondre. Je ne me souviens pas du match après ce choc, raconte-t-il. [Pour le quart de finale], le staff s’est demandé si j’étais apte. J’étais diminué, mais finalement j’ai joué […]. Ce qu’on ne saura jamais, c’est ce qui se serait passé si j’avais repris un impact au niveau de la tête. Quand tu sais que les commotions à répétition ont potentiellement un effet mortel, tu te dis que ça peut très mal tourner.»
Interview
Une procédure judiciaire est en cours en Angleterre, où dix anciens joueurs professionnels et les familles de sept autres aujourd’hui décédés poursuivent plusieurs instances dirigeantes du football britannique. Ils les accusent d’avoir «toujours été parfaitement conscientes» des risques de commotions et blessures cérébrales auxquelles étaient exposés les joueurs, sans pour autant avoir pris les mesures nécessaires. Des démarches similaires ont été amorcées en Angleterre et en France dans le monde du rugby, plus avancé que le football en termes de sensibilisation aux commotions cérébrales.