La moitié d’entre eux sont binationaux : l’équipe nationale du Maroc, qui affronte ce mercredi la France en demi-finale de la Coupe du monde, est composée de 16 joueurs ayant une double nationalité, dont 14 nés à l’étranger. Cette configuration assez commune, dans un football mondialisé, est aussi révélatrice d’une histoire sociale de l’immigration marocaine, qui concerne 7 à 8 millions de personnes.
Les sélections nationales sont souvent «les baromètres des grands flux migratoires», comme l’écrit le sociologue William Gasparini dans le Sport à l’épreuve de la diversité culturelle. Mais si cela était valable pour les pays d’accueil, comme pour l’équipe de France, la reconfiguration mondiale du football permet d’appliquer cette idée aux pays d’émigration, comme le Maroc. Saisir les trajectoires sociales des joueurs, leurs provenances, permet ainsi de mettre en lumière les mouvements migratoires des Marocains, et les raisons aussi de leur diaspora.
Originaire des Pays-Bas comme Hakim Zyech, ou d’Espagne comme Achraf Hakimi, l’immigration marocaine concerne de nombreux pays à travers l’Europe et le monde. Une immigration qui a débuté à la moitié du XXe siècle peu de temps après la décolonisation, comme le rapporte l’historien Pierre Vermeren dans un article de la revue Hérodote, «Le royaume du Maroc a lié son destin aux migrations», paru en 2019. La France, du fait de son lien historique et de son besoin important de main-d’œuvre durant les trente glorieuses, fut la première destination des migrants marocains.
Contexte politique
Par la suite, la convention de 1964 signée entre le Royaume et la Belgique prévoyant le recrutement de travailleurs, élargit les territoires d’accueil. De nombreux marocains viennent s’installer en Belgique, mais aussi aux Pays-Bas, où la demande de main-d’œuvre est aussi conséquente, et qui peine à faire venir des travailleurs d’Europe du Sud (la plupart capté par l’Allemagne et la France), selon l’anthropologue Jacques Barou Cérat.
Néanmoins, cette migration est aussi motivée par le contexte politique du Maroc durant la deuxième moitié du XXe siècle. D’après Pierre Vermeren, les soulèvements de la population du Rif entre 1958 et 1959 ont par exemple entraîné une suspension des investissements publics dans la région, poussant de nombreux rifains à «s’expatrier à la recherche d’emplois». Ou encore, les grandes sécheresses des années 80 dans le Moyen-Atlas, qui ont incité «les commerçants de la région, organisés en réseaux ethno-familiaux, déjà répandus dans tout le Maroc avec leurs épiceries, à partir à la conquête des marchés français et européens». Par la suite, les crises économiques européennes à la fin des années 80 ont engendré un durcissement des politiques d’accueil dans l’espace Schengen, entraînant une montée en puissance des arrivés illégales en Europe, rendant les migrants plus précaires et vulnérables.
Une reconquête de soi
Si pour ces binationaux, le choix d’opter pour la sélection marocaine peut relever d’une stratégie sportive (accès moins concurrentiel aux grandes compétitions), la dimension sociale et politique est aussi très significative. Pour exemple, la politique multicuraliste à l’œuvre aux Pays-Bas durant de nombreuses années, a renforcé le lien entre les membres de la communauté marocaine, leur permettant de positionner dans l’espace social en acquérant des droits, mais aussi de maintenir un lien fort avec la culture et le pays d’origine.
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Cependant, les évènements liés au terrorisme du début des années 2000 ont suscité une stigmatisation des communautés nord-africaines de la part de l’opinion publique dans de nombreux pays européens. Les conséquences étant alors, une ascension des mouvances d’extrême droite et un repli de la communauté sur elle-même, afin de s’assurer une protection et une reconnaissance. Par ailleurs, au même moment, l’arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI en 1999 va renforcer les liens entre le Royaume et sa diaspora. Selon Pierre Vermeren, l’ascension du nouveau roi marque une rupture pour les «Marocains résidents à l’étranger». Ainsi pour des raisons économiques (transferts de capitaux importants vers le Maroc), culturelles (entretenir une «marocanité»), sécuritaires (contenir l’extrémisme religieux) et politiques (de nombreux binationaux ont intégré l’élite sociale des pays d’accueil, renforçant le soft power marocain), les autorités marocaines vont mettre en place de nombreuses mesures avantageuses afin de fortifier les attaches de cette diaspora avec le pays d’origine (fiscalité, aides au rapatriement, reconnaissance officielle…)
En somme, l’avènement de l’équipe marocaine actuelle est le résultat d’une longue histoire assez complexe entre les pays d’accueil et le pays d’origine, et cela nous invite surtout à comprendre que le sport est à la fois une chose sociale et politique.