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Mondial 2022

Oswaldo Piazza : «Dans le foot argentin, le mouvement des joueurs les uns vis-à-vis des autres importe plus que la vitesse»

Coupe du monde 2022 au Qatardossier
Avant la demi-finale du Mondial qatari qui opposera ce mardi soir l’Argentine à la Croatie, l’ex-joueur argentin décrypte le jeu des Albiceleste.
La sélection argentine à l'entraînement avant le Mondial au Qatar. (Karim Sahib /AFP)
publié le 13 décembre 2022 à 16h44

L’ancien défenseur central mythique de l’AS Saint-Etienne des années 70, furtif ex-entraîneur de Vélez Sarsfield et d’Independiente, revient sur le jeu de la sélection argentine, en lice pour la sixième demi-finale de Coupe du monde de son histoire, ce mardi soir contre la Croatie, à 20 heures.

Dans ce Mondial, les joueurs de l’Albiceleste semblent comme en mission pour donner enfin le titre suprême au meilleur joueur de l’époque…

Il n’y a rien d’écrit. L’Argentine a démarré le Mondial avec une équipe invaincue depuis trois ans et demi et, d’entrée, elle s’est inclinée contre l’Arabie Saoudite. Un match qu’elle ne doit jamais perdre. Rien ne lui sera donné. On a souffert contre le Mexique, un peu contre la Pologne et l’Australie. Le reste du monde progresse. Le Brésil, super-favori, est dehors ; la France, qui a ses faiblesses, s’en est bien sortie contre l’Angleterre. L’Albiceleste avance dans le tournoi mais s’en remet trop à Messi pour faire la différence, ça pourrait lui jouer des tours.

A quoi attribuer ce bon parcours ?

L’entraîneur, Lionel Scaloni, et son staff ont sorti des joueurs qu’on ne connaissait pas, qui étaient parfois remplaçants en Europe ou jouaient un rôle mineur dans leur club. Gonzalo Montiel (Séville FC), Nahuel Molina (Atlético Madrid), Cristian Romero (Tottenham), Marcos Acuña (Séville FC), Julian Alvarez (Manchester City), plus le gardien Emiliano Martínez (Aston Villa)… Huit d’entre eux découvrent la Coupe du monde et il y a toujours la garde rapprochée de Messi qui le protège (Otamendi, Di María, Paredes…). Le sélectionneur dispose d’un staff élargi d’anciens internationaux de haut niveau (Pablo Aimar, Walter Samuel, Roberto Ayala). Ce sont des formateurs, ils savent comment ils veulent jouer.

Le système de jeu de la sélection semble fluctuant, incertain. A part Messi, Otamendi et le gardien, le onze de départ change souvent d’un match à l’autre dans ce tournoi…

Ils cherchent l’équation idéale. A chaque match, ils utilisent le maximum de remplaçants. A part les deux gardiens et trois joueurs de champ, dont Dybala, ils ont tous joué au minimum quelques minutes. Tout le monde est concerné, on devient plus fort ainsi. Scaloni ne donne son équipe qu’au dernier moment afin de garder ses joueurs sous pression. Ils peuvent tous espérer y être.

On reproche souvent à l’Argentine, au contraire des autres équipes majeures, de manquer de vitesse sur les côtés.

Notre équipe ne dispose pas d’ailiers supersoniques. Ce n’est pas toujours nécessaire. Nos milieux de terrain (De Paul, Mac Allister, Fernandez…) portent trop la balle mais ils savent tous où se trouve le meilleur joueur du monde qui peut faire tomber la foudre à tout moment. Sur le premier but contre les Pays-Bas samedi [ouverture de Messi dans un mouchoir de poche pour Nahuel Molina, l’arrière droit, ndlr], on ne sait pas comment il l’a vue, cette passe entre les jambes qui fait la différence. C’est cet arrière latéral supposé lent qui fabrique l’action avec son appel de balle. Dans le foot argentin, le mouvement des joueurs les uns vis-à-vis des autres importe plus que la vitesse proprement dite.

La victoire à la Copa América de l’an dernier au Brésil, après vingt-huit ans de disette, a-t-elle libéré l’Albiceleste de tous ses échecs ?

Définitivement. On a enfin mis derrière nous les échecs en finale [lors du Mondial de 2014 et des Copa América de 2015 et 2016]. Le meilleur joueur de l’époque a enfin gagné un titre avec son équipe nationale. Comme au Qatar, on n’avait pas la meilleure équipe au Brésil mais on a raflé la mise. On va dire que c’est pour toutes les fois où on est repartis sans rien. Comme les autres équipes de cette Coupe du monde, on a des hauts, des bas, des trous… Depuis la Copa América de 2021, ce groupe sait ce qu’il veut et surtout ce qu’il ne veut pas. Les finales, elles se gagnent. Comme toujours, on dépend trop de Messi mais contrairement à il y a quatre ans, on sait le protéger et il est mieux entouré.

En demi-finales, on retrouve les sélections de trois continents. Existe-t-il encore des différences dans la façon de jouer entre les diverses équipes nationales du Mondial ?

De moins en moins. La plupart des meilleurs joueurs de toute la planète évoluent dans les grands clubs européens. Ce qui a tendance à rogner les spécificités des uns et des autres. Les sélections ont beau toutes avoir une tradition qui les a façonnées, le poids écrasant du foot de club nivelle la façon de jouer. Longtemps, les équipes africaines, asiatiques ou sud-américaines proposaient un jeu différent, c’est de moins en moins vrai, à part peut-être pour l’Iran ou la Corée du Sud où la majorité des joueurs évoluent au pays.