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Gammes

Pelé, du ballon à la guitare

La mort de Pelédossier
Chanteur sans prétention mais amateur sincère, le footballeur, mort ce jeudi, a enregistré une douzaine de chansons.
Pelé avec le Français Sacha Distel, vers 1965. (Popperfoto/Popperfoto via Getty Images)
publié le 29 décembre 2022 à 21h05

«Je le qualifierais de compositeur naïf, comme on parle de peinture naïve.» Le jugement est signé Gilberto Gil, que Libération avait rencontré en 1998 pour parler musique et ballon rond à la veille du Mondial français. Le tropicaliste bahianais rappelait ainsi qu’Edson Arantes do Nascimento était aussi un musicien complet : auteur, compositeur, chanteur, guitariste. Son œuvre est certes succincte : sur la centaine de titres qu’il affirmait avoir composé, seuls une douzaine ont été enregistrés.

Le 31 août 1969, Pelé marquait l’unique but de la rencontre Brésil-Paraguay, devant les 183 000 spectateurs qui remplissaient le stade Maracana de Rio. La victoire qualifiait la sélection auriverde pour le Mondial 70 au Mexique, qu’elle remportera, mais le buteur ne s’est guère attardé pour fêter l’événement. Il avait rendez-vous le soir même avec l’immense chanteuse Elis Regina pour enregistrer, en duo, ce qui deviendra son premier disque.

L’initiative revenait au musicien Roberto Menescal, directeur artistique du label Philips, qui savait que Pelé composait et chantait. «Pas de grandes chansons, notera-t-il plus tard. Mais des choses simples, bonitinhas [«assez jolies», ndlr].» Le producteur, au rôle fondamental dans la naissance de la bossa nova, a choisi d’enregistrer dans un appartement, pour éviter que le studio n’intimide le débutant. Pelé n’est pourtant pas un mauvais chanteur et il n’est pas ridicule à la guitare : il maîtrise la batida, la pulsation syncopée de la bossa-nova.

L’aventure new-yorkaise

Deux titres sont mis en boîte, Perdão não tem («c’est impardonnable»), sur une rupture amoureuse, et Vexamão («humiliation»), où Pelé ironise sur ses limites musicales. Le disque est mis en vente peu avant le Mondial mexicain, en 1970, considéré comme l’apogée de la carrière d’«O Rei». La pochette du pressage français précise : «le premier disque de Pelé», et la photo ne montre que le footballeur, pas sa partenaire. Publié dans de nombreux pays, le disque n’est pas un succès.

Il faut attendre 1977 pour entendre à nouveau Pelé chanter. C’est sur la bande originale du documentaire Pelé, du Français François Reichenbach, qui retrace son aventure aux Etats-Unis. O Rei a en effet signé au New York Cosmos en 1975, après dix-neuf ans passés à Santos, son club formateur. Les fondateurs et mécènes de l’équipe new-yorkaise sont les frères Ahmet et Nesuhi Ertegun, d’origine turque, devenus milliardaires grâce à leur label musical Atlantic, qui a lancé Ray Charles, Aretha Franklin, Otis Redding ou Led Zeppelin. Le contrat de 4 millions de dollars signé par le meilleur footballeur du monde prévoyait d’ailleurs un aparté musical. C’est Sérgio Mendes qui signe la bande originale du documentaire, avec son élégance et sa sophistication habituelles. Et Pelé chante Meu Mundo e uma Bola («mon monde est un ballon»), accompagné par le son velouté du sax soprano de Gerry Mulligan.

«Ecoutez le vieux»

Par la suite, on entendra Edson Arantes Do Nascimento épisodiquement. En 1979, à l’occasion de l’année internationale des enfants, il enregistre deux nouveaux titres, dont il cède les droits à l’Unicef. Il célèbre les Jeux olympiques de Rio de 2016 avec un nouveau titre, Esperança. Et deux ans plus tard, pour ses 80 ans, il est accompagné par le duo mexicain Rodrigo y Gabriela sur le sympathique Acredita no Véio («écoutez le vieux»). Dans le communiqué qui annonçait cette ultime apparition musicale, l’homme aux plus de mille buts reconnaissait : «Dans le football, mon talent était un don de Dieu, la musique, c’était juste pour le plaisir.»

Une image représente plus que d’autres le rapport spontané et sans prétention que Pelé entretenait avec la chanson. En 2005, lors de son historique rencontre avec Maradona sur le plateau de la chaîne argentine Canal 13, on le voyait empoigner sa guitare et dédier à son successeur Quem sou eu : «Qui suis-je, Maradona, qui es-tu ? Tu veux être moi, moi je veux être toi.»