Menu
Libération
Reportage

Rétrogradation des Girondins de Bordeaux : «C’est un crève-cœur de voir couler ce symbole»

Alors que le club bordelais a accepté sa rétrogradation, supporteurs et salariés se désespèrent de voir leur équipe quitter les ligues professionnelles.
Des supporters bordelais au Matmut Atlantique à Bordeaux, le 2 juin 2023. (Thibaud Moritz/AFP)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 23 juillet 2024 à 18h22

Devant la boutique des Girondins de Bordeaux, rue Sainte-Catherine, les touristes entrés par curiosité, ignorant tout de la situation du club, se mêlent aux supporteurs à la mine défaite. Parmi les Bordelais croisés, Tifenn, Eric et Victor ont un point commun : chacun repart avec un souvenir de son club de cœur, «juste au cas où». «Même si tout n’est peut-être pas perdu, je veux garder leur dernier maillot précieusement. Comme une relique de l’ancien monde», s’amuse Victor avant de disparaître au milieu de la foule. Mais l’espoir est de courte durée. Ce mardi 23 juillet, en fin de matinée, les supporteurs les plus optimistes doivent se rendre à l’évidence : le feuilleton en dents de scie que traverse le mythique club des Girondins de Bordeaux (FCGB), fondé en 1920, prend une sombre tournure.

Deux semaines après leur rétrogradation en N1 – la troisième division – par la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), les Girondins renoncent à faire appel. Aucun accord n’a pu être trouvé avec le groupe américain Fenway Sports Group – brièvement revenu lundi à la table des négociations – pour racheter le club. En difficulté financière, l’institution bordelaise devrait demander un redressement judiciaire dans les prochains jours. Un séisme pour les salariés, les élus locaux, les commerçants mais aussi pour tous ceux qui soutiennent le club avec ferveur. Parfois depuis des décennies.

«Ce club a sauvé mon fils»

Le football, c’est aussi une vaste mosaïque d’histoires personnelles. Elisabeth, 59 ans, peine à retenir ses larmes en apprenant la nouvelle. Les Girondins font partie intégrante de sa vie depuis qu’elle a 16 ans. Elle n’a jamais loupé un match à domicile depuis 1981. Une passion qu’elle partage principalement en famille, avec son frère et son père, décédé depuis. «Ce club a aussi sauvé mon fils. Il se faisait harceler quand il était plus petit. C’est en l’emmenant voir des matchs qu’il a progressivement retrouvé goût à la vie. C’est vous dire à quel point les Girondins sont importants pour moi. C’est un crève-cœur de voir couler ce symbole», confie la supportrice qui «n’imagine pas à quoi peut ressembler le foot français sans Bordeaux». La situation est d’autant plus rude à accepter qu’il y a deux mois, le stade Chaban-Delmas, enceinte mythique des Girondins avant le déménagement au nouveau Matmut, fêtait ses 100 ans à guichets fermés. Pour l’occasion, des légendes du football comme Alain Giresse, Zinedine Zidane ou Yoann Gourcuff étaient venues fouler de nouveau la pelouse. «Assister à la chute du club en repensant à ces moments, c’est inimaginable», s’émeut Elisabeth.

Pour Michael, le FCGB est aussi une histoire de famille. «J’ai des souvenirs par centaines en lien avec ce club. Mon père était dans l’ancien groupe des ultras. Il m’a transmis cette passion qui prend aux tripes. Dès la primaire, je me rappelle que je lui piquais ses photos où il posait aux côtés des joueurs au Haillan. On me voyait déjà dessus, alors que j’étais juste un bébé. J’étais tellement fier de les amener aux copains !» Depuis deux semaines, le supporter, «abonné à des dizaines de comptes Twitter et inscrit sur tous les groupes Facebook possibles et imaginables», scrollait nuit et jour sur son portable à l’affût de la moindre information sur l’avenir du club. «Au moins, les nuits d’angoisses vont cesser. Je suis tellement triste, j’ai beaucoup de mal à réaliser qu’on n’ira plus voir de matchs au Matmut. C’est la fin d’une époque», résume-t-il amèrement.

«Un jour, peut-être qu’on pourra rêver à nouveau»

Abonné au virage sud, Saïd, la vingtaine, y a cru «jusqu’au bout». Samedi dernier, il avait même organisé un rassemblement devant l’hôtel de ville pour apporter son soutien au club. «Nous refusons de mourir en silence», avait-il lancé la veille sur Facebook dans un ultime appel à l’aide. «On a chanté, rencontré le maire. On a aussi fait part de notre colère contre Gérard Lopez [le président du club, ndlr]. On le tient pour principal responsable. Depuis qu’il est au club, on se sent abandonnés alors qu’on avait besoin de retrouver une certaine unité», fulmine-t-il encore. «Stressé» par les derniers rebondissements, il s’accroche désormais à l’espoir que «les Américains voudront peut-être racheter le club plus tard, maintenant qu’il va coûter beaucoup moins cher». «Dans tous les cas, on continuera à les soutenir, peu importent les difficultés qu’ils traversent. Et un jour, peut-être qu’on pourra rêver à nouveau», poursuit Saïd. «On accuse le coup, complète un salarié qui préfère conserver l’anonymat. Evidemment, les gens se posent beaucoup de questions. Les licenciements semblent inévitables, mais on ne sait pas dans quelle proportion. Pour l’instant, c’est le flou. On attend que la direction ou les syndicats reviennent vers nous.»

Lors d’une conférence de presse exceptionnelle organisée ce mardi après-midi, Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, a fait part de «sa grande tristesse». «Cette rétrogradation sanctionne tout un territoire très attaché à la pérennité d’une aventure humaine qui a démarré en 1881. La ville de Bordeaux réaffirme son soutien aux Girondins, véritable patrimoine immatériel bordelais, et n’entend pas se désinvestir de leur devenir», a réagi l’élu. Il dénonce notamment auprès de Libération «des spéculations financières qui ont pris le pas sur les enjeux sportifs». «Cette situation doit nous interroger sur un modèle économique à bout de souffle».