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Jouez, il n'y a pas faute

Fiasco du Stade de France: les vidéos de surveillance ont été détruites faute de réquisition à temps

Le préfet de police de Paris et des responsables de la FFF ont été auditionnés au Sénat ce jeudi au sujet du chaos de la finale de la Ligue des Champions entre le Real et Liverpool le 28 mai dernier.
Le préfet de police de Paris lors de son audition au Sénat, ce jeudi. (Anne-Christine Poujoulat/AFP)
publié le 9 juin 2022 à 10h33
(mis à jour le 9 juin 2022 à 18h23)

Des excuses du bout des lèvres, plusieurs approximations et des justifications douteuses. Mais au moins, au cours de son audition jeudi devant le Sénat, Didier Lallement aura reconnu «à l’évidence un échec» dans le fiasco de la finale de la Ligue des champions du 28 mai dernier. Quelques jours après les explications brumeuses des ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, du 1er juin, les éclaircissements du préfet de police de Paris à la commission des lois de la chambre haute étaient attendues.

La remise en question publique n’est généralement pas sa tasse de thé. Mais soumis aux questions des sénateurs, même lui n’a pu nier. Au cours de ses deux heures d’audition, le préfet Lallement a présenté des «regrets sincères» envers les supporters de Madrid et Liverpool, en leur promettant de tout faire «pour retrouver les coupables et les présenter à la justice». Il a aussi répété «assumer en totalité la responsabilité de la gestion policière» de la journée du 28 mai, conscient «que l’image de la France a été atteinte». Le tout en insistant sur le fait que, sans l’action des forces de l’ordre, «un drame aurait pu se produire».

Pas de remise en cause du «schéma de maintien de l’ordre»

S’il a eu beau promettre de «clarifier les choses» en préambule, demeure cette impression de ressortir de l’audience avec toujours autant de zones d’ombre, notamment sur la préparation de l’événement. Le préfet est notamment revenu sur l’estimation des 30 000 à 40 000 personnes venues sans ou avec des faux billets. Ce chiffre, c’est bien lui qui l’a «donné au ministre» de l’Intérieur Gérald Darmanin, et il l’assume «complètement». Didier Lallement reconnaît cependant s’être «peut-être trompé. Je n’ai jamais prétendu qu’il était à quelques milliers parfaitement juste». Avant de balayer ces estimations : «Qu’il y ait 40 000, 30 000 ou 20 000, ça ne changeait rien au fait qu’il y avait des dizaines de milliers de personnes susceptibles de rentrer dans le dispositif. Les compter à 5 000 près n’avait aucune importance».

Autre précision du préfet : le fait que ce groupe de personnes ne se trouvait pas «sur le parvis, aux abords stricts du stade», mais «au-delà des barrages que nous avions», ce qui tendrait à expliquer pourquoi les observateurs présents à proximité de l’enceinte n’auraient pas vu cette masse informelle. Quant à l’absence d’interpellation de personnes détentrices de faux billets, Didier Lallement dit avoir pris lui-même cette décision, «puisque aucun élément en la matière sur le plan pénal ne permettait de le faire».

Relancé à de multiples reprises par les sénateurs sur l’usage de gaz lacrymogène sur les supporters, il rétorque que son emploi était «le seul moyen policier pour faire reculer une foule sauf à la charger», ce qui aurait été une «erreur grave», a-t-il insisté. Tout en ayant «bien conscience que des personnes de bonne foi ont été gazées, et j’en suis totalement désolé». «Dire qu’on doit utiliser du gaz lacrymogène pour ramener l’ordre est faux, c’est un moyen de disperser les gens dans toutes les directions, cela peut provoquer des blessures graves. Il n’y avait aucun contrôle, les services de police se sont effondrés», lui opposera, courroucé, le maire de la métropole de Liverpool, Steve Rotheram, dernier à passer sur le gril du Sénat ce jeudi.

Contrairement à Gérald Darmanin une semaine plus tôt, qui disait envisager une utilisation «différente» des lacrymo lors d’«événements exceptionnels», Didier Lallement, droit dans ses bottes, ne prévoit pas de remise en cause du «schéma de maintien de l’ordre». Et quand une sénatrice lui demande quelles leçons il tire «à titre personnel» de ce ratage au Stade de France, le préfet de répondre avec sa plus belle morgue : «je suis haut fonctionnaire, révocable tous les mercredis [en Conseil des Ministres]… C’est quoi votre problème ?»

Images de vidéosurveillance détruites

Pas beaucoup plus d’excuses du côté de la FFF, dont les explications étaient peut-être encore plus guettées : hormis un communiqué laconique, la Fédération française de football ne s’est jamais vraiment exprimée en détail sur la soirée. En termes de «grandes rencontres qui rassemblent plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, nous ne sommes ni des novices ni des amateurs», défend d’entrée Philippe Diallo, numéro deux de l’instance, citant l’organisation de l’Euro 2016 et de la Coupe du monde féminine 2019 comme preuve du savoir-faire français en la matière. A ce titre, la finale de C1 constitue à leurs yeux «une très regrettable exception».

Directeur des relations institutionnelles au sein de l’instance et présent lui aussi ce soir-là, Erwan Le Prévost assure devant la chambre haute que s’il y a bien un aspect que la FFF n’aurait jamais pu prévoir, «c’est avoir un tel afflux de délinquants», jurant avoir vu des images «extrêmement violentes» au poste de sécurité le soir du match. Il évoque donc ces images de vidéosurveillance que Gérald Darmanin s’était engagé à livrer. Sauf que la FFF révèle que… «les images de vidéosurveillance du Stade de France ont été automatiquement détruites» faute de réquisition faite par la justice dans le délai de sept jours requis. De quoi faire bondir les sénateurs présents dans la salle. «S’il advenait que ces images n’aient pas été conservées, (...) cela poserait un grave problème de notre point de vue», a cinglé François-Noël Buffet, président LR de la commission des lois du Sénat. Même inquiétude pour Steve Rotheram: «Je ne peux pas comprendre pourquoi, alors qu’on veut savoir ce qu’il s’est passé. Cela montre très clairement qu’il y a un vrai problème. Je suis choqué, pour être honnête.»

Avant cela, la FFF s’est surtout attardée sur deux points. Celui des faux billets, d’abord. «On savait pour les faux billets mais pas le nombre», soutient Didier Pinteaux, responsable de la sécurité à la FFF. Ce dernier dit avoir dimensionné le dispositif «de façon plus élevé pour pallier» ce fléau. Erwan Le Prevost confirme la réalité de ce trafic d’ampleur. Il précise une particularité pas encore évoquée jusqu’alors : une partie de ces billets falsifiés auraient été «vendus auprès de personnes qui le savaient. Des gens ont vendu des billets 50 livres […] en expliquant (aux acheteurs) qu’ils avaient la possibilité de potentiellement passer le préfiltrage mais qu’il n’y avait aucune chance de rentrer dans le Stade de France, et que c’était à eux de se débrouiller pour rentrer dans l’enceinte», décrypte-t-il. Ce nombre de personnes étant, «bien plus important» que les autres acheteurs «de bonne foi» à en croire Le Prévost.

L’autre point a trait à la gestion des flux de spectateurs en provenance des transports en commun. Dans le viseur de la FFF : la RATP. L’instance du foot soutient ne pas avoir eu l’information – tout comme la préfecture - que le flux de personnes censées arriver au stade depuis le RER B avait en réalité été dévié vers le RER D en milieu d’après-midi, à l’initiative de la RATP. «On aurait pu anticiper et répondre à cet afflux massif de supporters si on s’était mieux coordonné», assure Erwan Le Prévost. C’est bien là tout le problème.

Mise à jour : à 18 heures avec les déclarations des responsables de la FFF.