De la boxe pop-corn. Une joute crounch-crounch bam-bam. Une exhibition tournée en choc des titans, avec un titre factice au bout du gong mais qui en jette : celui de «baddest man on earth», l’homme le plus mauvais sur tout ce foutu plancher des vaches. Six ans après un duel un peu bidon entre l’Irlandais Conor McGregor et l’Américain addict au fric Floyd Mayweather, les mixed martial arts (MMA) entrent de nouveau entre les cordes d’un ring de boxe, pour un combat entre les poids lourds les plus cinglants des deux disciplines, Francis Ngannou et Tyson Fury.
Le noble art a l’habitude de câliner les belles histoires ; les combats plus grands que grands, les fortes gueules, les renaissances… Il en a pour son compte, ce samedi 28 octobre (à 23 heures heure française), à Riyad, en Arabie saoudite – nouvelle preuve que le royaume wahhabite investit tous les sports pour redorer son image. Du show conjugué à tous les temps, avant, pendant et après le combat, qui offre une galaxie démentielle de personnages : les principaux, les seconds couteaux, les figurants lointains qui se fondent dans le décor… En somme, un storytelling rouleau compresseur.
Là, il faut bien retenir son souffle : d’abord, il y a Francis Ngannou. Un gamin de Batié, au Cameroun, trop pauvre pour aller à l’école, qui fracasse des pierres dans une mine de sable, commence la boxe la vingtaine déjà entamée, tente sa chance en Europe en traversant la Méditerranée, connaît la prison à son arrivée en Espagne avant de trouver sur le sol français refuge à la MMA Factory, hub français de la pratique, avant d’être propulsé champion de l’UFC (la plus importante fédération de MMA) à la force de ses deltoïdes monstrueux. Ensuite, Tyson Fury. Dit le «Gypsy King», gitan et deuxième roi d’Angleterre, individu régulièrement en chemise à fleurs en soie qui engonce son physique débordant, ce qui ne l’empêche pas (le mauvais goût aussi bien que le bidon rebondi) d’être probablement le meilleur poids lourd de son sport au XXIe siècle. Voilà pour les deux protagonistes.
Les suivants : Mike Tyson, légende vivante des lourds et d’ailleurs ancien baddest man, devenu l’espace de quelques mois le coach de Ngannou grâce aux sous des Saoudiens, dont les combats éclair ont directement inspiré John Fury pour prénommer son rejeton Tyson. Et ce dernier, pas le moins zinzin de la famille, qui en vient directement à défier Mike Tyson lors de la confrontation d’avant-combat, abordée de la même manière que son fils, le nombril à l’air. En septembre, Tyson Fury exposait tout haut un rêve de gamin : «Imaginez un bébé qui tient son prénom d’un champion du monde et que ce bébé devienne ensuite lui-même champion du monde. Ce bébé devenu champion du monde affronte quelqu’un et le gars à qui il doit son prénom entraîne cet adversaire. Francis dit être dans un rêve mais je le suis aussi.»
«Boom, boom, boom, t’en foutre plein la tête»
Depuis quelques jours, Fury et Ngannou se prêtent au jeu. «Regardez comme il est gros ! C’est une saucisse grasse», dit le premier. «Il agit comme un fou, mais il est malin», répond le deuxième. L’Anglais, qui a l’habitude de bêtifier, mais reste un stratège sous ses airs balourds et son phrasé de marlou, a carrément donné le brouillon de son combat à son adversaire, en pleine interview télévisée… signe que le duel est à mille lieues d’en être un. «Je vais te foutre KO en six rounds, et je vais te dire comment : je vais y aller le pied en avant, mettre 19 ou 20 parpaings avec mon jab, boom, boom, boom, t’en foutre plein la tête, et bang ! KO !»
Sans trop spéculer, personne ne se risquerait à contredire ce plan puisqu’on parle là d’un combat entre un multiple champion du monde et un homme qui assure sa première confrontation, quand bien même sa droite a la même puissance qu’une Ford Escort lancée à pleins tubes, selon des scientifiques de l’UFC, l’ancienne organisation de Ngannou.
Alors, une bouffée d’air pour le noble art, ou une nouvelle preuve de sa perte de vitesse depuis une dizaine d’années, avec le boom concomitant du MMA ? Réponse : du flouze à gogo. Dopé par le pay-per-view (l’achat à l’unité du combat, qui concerne la France puisqu’il faudra dépenser 14,99 euros en plus de l’abonnement à la plateforme de streaming DAZN), le combat va, a priori, faire ruisseler les millions. Ngannou, qui n’a plus combattu dans la cage depuis son succès contre le Français Cyril Gane il y a près de deux ans, devrait doubler le total de ses primes obtenues sur toute sa carrière à l’UFC – on parle de 8 millions de dollars quand ses 19 combats lui ont rapporté moins de 3 millions de dollars. Une consécration pour le Camerounais puisqu’il s’était retiré de l’UFC, organisation XXL mais pingre, pour la plus confidentielle PFL, une histoire de gros sous. Tyson Fury, après avoir bien garni sa bourse, bataillera contre l’Ukrainien Oleksandr Usyk à la fin de l’année pour unifier les ceintures. Un combat de boxe pour de vrai, celui-là.