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Théâtre de performances sportives, les Jeux olympiques sont aussi le lieu de gestes architecturaux. A ce titre, l’olympiade parisienne fait un peu figure d’exception, puisqu’elle est sobre en réalisations nouvelles – c’est une bonne chose – et que celles-ci (l’Arena porte de la Chapelle, le centre aquatique et le village des athlètes) ne brillent pas par leur audace formelle. Aux amateurs d’architecture sportive frustrés, la Maison de la culture du Japon à Paris offre un peu de réconfort. Elle propose jusqu’à la fin du mois de juin une petite exposition pensée comme un dialogue entre deux monuments des olympiades tokyoïtes (1964 et 2020, reportée en 2021 pour cause de Covid) et leurs architectes respectifs.
Il y a d’abord le gymnase olympique de Yoyogi, œuvre de la figure emblématique du modernisme japonais, Kenzô Tange : deux grands coquillages de béton s’élevant vers le ciel, où se déroulèrent les épreuves de natation et de basket en 1964. Une réalisation frappante à laquelle le second architecte honoré par l’exposition doit sa vocation. «Je me souviens très clairement de cette journée [où] mon père m’emmena voir les compétitions de natation qui avaient lieu dans le gymnase de Yoyogi, raconte Kengo Kuma dans le catalogue. De la gare de Shibuya, on apercevait au loin une architecture aux formes étranges. […] Le gymnase de Yoyogi s’élançait tel un éclair fulgurant. Jamais je n’avais vu un espace pareil ni fait l’expérience d’une telle lumière. […] Ce jour-là, du haut de mes 10 ans, je décidai de devenir architecte.»
Tel un relayeur de 4x100 m, Kuma saisit le témoin de Tange pour réaliser, cinquante ans plus tard, le stade olympique national, écrin de la cérémonie d’ouverture et des épreuves d’athlétisme devant un public clairsemé et masqué, pandémie oblige. L’édifice fut imaginé presque en opposition au gymnase de Yoyogi : à la verticalité triomphante du Nouveau Tokyo renaissant des ruines de la guerre répondrait une horizontalité apaisée nécessaire au Japon de 2020. «Le Japon étant l’un des pays où la baisse de la natalité et le vieillissement de la population progressent le plus vite au monde tandis que guette la faillite financière, il n’est plus besoin de ce genre d’architecture, proclame Kengo Kuma. Au contraire, ce dont on a besoin, c’est d’une architecture petite et douce capable de protéger avec délicatesse des personnes qui, n’étant plus jeunes, sont sans vigueur et à bout de forces à cause du stress et des épidémies.»
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Soit un stade «horizontal et bas pour se fondre dans l’environnement», comme le décrit Saikaku Toyokawa, commissaire de l’exposition et professeur à l’université de Chiba, qui souligne aussi l’«utilisation du bois pour répondre au béton» et des «avant-toits qui offrent de l’ombre et laissent passer le vent». Il invite aussi à contempler, sur une maquette en coupe, la légère courbure du toit de l’arène, subtile variation qui œuvre à la délicatesse de l’ouvrage. Le zen dans un stade de 80 000 places.
Une autre maquette, pièce la plus impressionnante de l’exposition, figure les deux ouvrages dans leur environnement urbain : on est moins étonné par les gratte-ciel que par la grande forêt du sanctuaire Meiji qui sépare les enceintes. Mais le saisissement vient surtout des photographies présentées. Celles du gymnase Yoyogi sont de Yasuhiro Ishimoto, qui a accompagné Tange dans de nombreux projets, notamment un livre à six mains avec Walter Gropius sur la villa Katsura. Celles du stade national sont signées Mikiya Takimoto, grand nom de la photographie japonaise, qui a travaillé sur plusieurs films de Hirokazu Kore-eda. Tous les clichés sont en noir et blanc, images épurées pour sublimer les lignes de leurs objets.
On ressort évidemment de là avec l’envie d’aller voir les deux monuments sur place. A défaut, on peut toujours aller contempler les œuvres françaises des deux architectes : le Grand Ecran de la place d’Italie pour Tange, le nouveau musée Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt et, bientôt, la gare du Grand Paris Express Saint-Denis Pleyel et la galerie de la cathédrale d’Angers pour Kuma. Ça coûte moins cher qu’un vol pour Tokyo et le bilan carbone est meilleur.