Discrètement, un homme sort un drapeau palestinien de son sac de courses. «Tu penses qu’on a le droit ?» Keffieh en main, sa voisine hausse les épaules. Devant le panneau «Arrivées» de l’aéroport Charles-de-Gaulle, ils sont déjà des dizaines de militants à attendre, patiemment, au milieu des journalistes. A quelques heures seulement de la cérémonie d’ouverture, la délégation olympique palestinienne doit atterrir à Paris ce jeudi 25 juillet.
Fixant les portes automatiques, Abida insiste : «Il faut qu’on leur fasse un vrai accueil, qu’on soit tous là !» Pour la huitième fois depuis Atlanta en 1996, la Palestine va être représentée officiellement aux Jeux olympiques. Alors qu’ils étaient cinq athlètes il y a trois ans à Tokyo, ils seront huit à concourir à Paris cet été. Parmi eux, seul un a réussi à se qualifier par la voie classique : le taekwondiste Omar Ismaïl. Les sept autres ont bénéficié d’une invitation du Comité international olympique (CIO), une procédure qui permet de repêcher certains sportifs au nom de l’universalisme.
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«Vu ce qu’il se passe actuellement, c’est important qu’ils soient représentés», poursuit Abida. Drapeau palestinien drapé autour de la tête, la femme de 38 ans représente aujourd’hui le collectif Urgence Palestine. Parmi les huit sportifs, certains ont ouvertement dénoncé la guerre à Gaza – déclenchée après l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre. D’autres, au contraire, ont préféré ne pas faire de commentaire. Mais ce jeudi matin, que les athlètes le veuillent ou non, le conflit semble indubitablement s’être invité dans le tournoi. Quelques minutes avant l’arrivée de la délégation, ils sont désormais une quarantaine de militants à arborer des drapeaux palestiniens ou des tee-shirts «Justice en Palestine». Abida, elle, ne s’en cache pas : «J’espère que leur venue sera une tribune.»
«Pas grand monde ne nous soutient»
A chaque ouverture des portes automatiques, journalistes et militants scrutent les visages des voyageurs. Toujours pas. Soudain, une salve d’applaudissements retentit dans le terminal. «Ils sont là, ils sont là !» Arrivée par une autre porte, la délégation est accueillie sous une ribambelle de caméras, micros et confettis dorés, rapidement suivis de chants «Free, Free Palestine». Un peu déboussolés au milieu de la foule qui accourt, les sportifs s’empressent de signer des autographes et prennent la pose. «C’est un accueil tellement chaleureux, on est super excités […] C’est un de nos rêves depuis tellement longtemps», sourit la nageuse Valerie Tarazi, qui participera au 200 mètres 4 nages. Si la sportive est déjà à Paris «depuis deux semaines» pour s’entraîner, il n’était pas question pour elle de rater l’entrée avec sa délégation.
Mais à peine arrivée, la guerre redevient vite le principal sujet. «J’ai encore énormément de famille [à Gaza] et malheureusement, beaucoup sont morts. C’est difficile à gérer, mais c’est encore plus une raison de concourir», poursuit Valerie Tarazi, après avoir distribué une dizaine de keffiehs au public. Quelques mètres plus loin, Yazan al-Bawwab, nageur sur le 100 mètres dos, pose devant une nuée de téléphones. «On est très heureux que vous nous souteniez. Pas grand monde ne nous soutient», assure le sportif devant les militants, tout en gardant son sourire. «Je ne parle pas à propos de la politique. Mais on est humains, donc s’il vous plaît, donnez-nous les mêmes droits humains qu’à tous les autres. On veut être traités comme tout le monde.» Avant d’ajouter, en levant les épaules : «La France ne reconnaît pas la Palestine comme pays. Je suis ici et je lève le drapeau. Pensez-en ce que vous voulez.»
«Nous sommes ici pour envoyer un message»
Il n’y a pas que les athlètes qui sont attendus ce jeudi matin. Le président du Comité national olympique de Palestine, Jibril Rajoub, doit lui aussi débarquer dans quelques minutes. Et le militant, qui a passé des années dans les prisons israéliennes, n’est pas du genre à se taire. Vêtu d’un costume bleu marine, il déambule enfin sous la lumière blanche du terminal. A peine arrivé, le président entonne, main en l’air, avec le public : «Free, free Palestine», avant de déposer un keffieh sur ses épaules.
Jibril Rajoub ne s’en cache pas : l’objectif ne peut se résumer à des médailles. Pour lui, les athlètes doivent se servir de l’exposition médiatique qu’offrent les Jeux, et en faire une «tribune» pour sensibiliser l’opinion publique sur les frappes menées à Gaza. «Nous n’abandonnerons pas. Et nous sommes ici avec 8 athlètes, 8 icônes pour envoyer un message à la communauté internationale», insiste le président devant les caméras. Selon lui, 400 athlètes, bénévoles et employés du monde sportif ont été blessés ou tués depuis le 7 octobre dans l’enclave palestinienne.
Six disciplines
Lundi, le Comité olympique palestinien a annoncé avoir formellement demandé au CIO d’exclure Israël des Jeux olympiques, estimant notamment que l’Etat hébreu avait violé la trêve olympique. Si la requête a peu de chance d’aboutir, Jibril Rajoub n’hésite pas à la réitérer ce matin, sous le regard approbateur des militants. Pas de doute : la guerre à Gaza sera bien présente dans la compétition. Au total, six disciplines seront disputées par les athlètes palestiniens : le taekwondo pour Omar Ismaïl, le 800 mètres pour Layla al-Masri et Mohammed Dwedar, la natation pour Valerie Tarazi et Yazan al-Bawwab, la boxe pour Wassim Abou Sal, le judo pour Fares Badawi et enfin le tir, avec Jorge Antonio Salhe. Si l’un d’eux obtient une médaille, ce sera la première fois qu’un athlète palestinien monte sur le podium aux Jeux olympiques. Avant de quitter l’aéroport, les sportifs lancent des derniers sourires en direction du public venu l’accueillir. «Merci d’avance pour tout !», abondent-ils, avant de s’engouffrer dans l’ascenseur. Encore une fois, sous une salve d’applaudissements et de drapeaux palestiniens.
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