«Oh le salopard, voleur va !» Ce lundi après-midi, devant l’un des écrans géants du Club France, niché sous la halle de la Villette, Pierre l’a mauvaise. Tom Pidcock vient de couper la route à Victor Koretzky, manquant de le faire tomber, et chipe au passage la médaille d’or qui tendait les bras au vttiste français. La fureur du septuagénaire ne dure que quelques secondes, le temps que les deux hommes passent la ligne. Puis Eurosport passe aux Françaises du rugby à VII. Un essai des tricolores plus tard, Pierre retrouve le sourire et explose de joie. Les quelques centaines de personnes rassemblées à ses côtés l’imitent. Les JO sont pour tous un shot d’émotion continu. On y devient vite accro.
En pleine journée au Club France, sorte de festival de 55 000m2 dédié le temps des Jeux aux sportifs français, des Pierre, on en trouve à la pelle. Des mordus des Jeux, accros à la billetterie, tombés dedans il y a des mois quand les premiers billets ont été mis en vente et qui se trimbalent dans Paris depuis quelques jours habillés en bleu blanc rouge de la tête aux pieds. Entre deux épreuves, ou lors d’une journée sans ticket, faire un saut à «l’endroit où tout le monde voudra être», dixit David Lappartient, le patron du CNOSF, est tentant : l’entrée coûte cinq euros et on y diffuse les JO du matin au soir. Jusqu’à 25 000 personnes peuvent s’y pointer chaque jour. Coût total de l’opération, qui sera probablement largement déficitaire, pour les comités olympique et paralympique français : 22 millions d’euros.
Haka, pétanque et sponsors à gogo
Après une session de visionnage, on peut faire le plein de calories dans l’un des nombreux food-trucks (plutôt chers). Avant de les griller en faisant du sport, qu’il soit olympique ou non. Ce lundi 29 juillet on peut, au choix : s’entraîner au ping-pong, au tir sportif, au beach soccer, s’essayer au rugby ou au roller, ou encore répéter un haka avec des Néo-Zélandais, des vrais de vrais, venus tout droit du Pacifique. Les moins enclins à transpirer sous 30 degrés peuvent tester le sport en réalité virtuelle, ou se faire ridiculiser aux boules par des licenciés de la Fédération française de pétanque. Toyota, Tourtel, Allianz, la Française des jeux… Contentes de voir leur logo accolé au sport, les marques se battent aussi pour faire venir les curieux sur leur stand. LVMH propose de venir découvrir de très près (mais derrière une vitre) les médailles, Danette de s’essayer au décibelmètre (concept : crier le plus fort possible dans une petite pièce), Carrefour organise carrément un échange avec Laura Flessel, double médaillée d’or aux Jeux olympiques et partenaire de la chaîne de supermarchés.
L’ancienne escrimeuse peut, dans les coulisses du Club France, croiser ses semblables : tous les tricolores médaillés viennent célébrer leur breloque à peine celles-ci accrochées autour de leur cou. Les judokas y sont passés, les escrimeurs aussi. Antoine Dupont et sa clique ont carrément fait la totale sur la petite scène du grand hall : pas de danse, saut dans la foule (avec des oreilles de lapin sur la tête pour Dupont), et Marseillaise en prime. Les fans des Jeux repartent des étoiles dans les yeux, contents d’avoir pu l’espace d’une journée vibrer à l’unisson et toucher du doigt leurs idoles.
L'équipe de France de rubgy à 7 met l'ambiance au Club France !
— France tv (@FranceTV) July 27, 2024
Et dire que ce n'était que le premier jour ! 🔥@francetvsport @QuelleEpoqueOff #PARIS2024 pic.twitter.com/IweuBFSecc
Bénédicte, la compagne de Pierre, raconte avoir vu la cycliste Pauline Ferrand-Prévot passer à quelques mètres d’elle en larmes, encore émue de son titre de la veille. Et attend de pied ferme la judoka Amandine Buchard, médaillée de bronze, qu’elle espère croiser plus tard dans la journée. Au sujet des JO, cette prof d’EPS venue du Haut-Doubs pour voir une dizaine d’épreuves est dithyrambique : «Les Français, les étrangers, les policiers, tout le monde a le sourire jusqu’aux oreilles. C’est super rassembleur, ça fait un bien fou après les moments pas toujours drôles qu’on a eu récemment. Tout est bien organisé, malgré toutes les galères qu’on nous avait promises. Dans le métro les gens s’aident… C’est d’ailleurs peut-être parce que tous les Parisiens sont partis que personne ne râle et ne fait la gueule ! On devait rester une semaine, on va réfléchir désormais à prolonger notre séjour en espérant trouver d’autres billets.»
Venu en famille passer l’après-midi au Club France, Olivier, abonde : «Hier, même les salariés de la RATP faisaient chanter les spectateurs qui rentraient du Stade de France. Tout le monde est souriant, c’est beau, c’est entraînant.» L’Orléanais de 48 ans profite d’autant plus qu’il en a connu, lui, des Jeux tristes et sans public. Arbitre international de judo, il était à Tokyo, en 2021, pour officier sur Jeux paralympiques – il sera à nouveau au bord des tatamis fin août à Paris. «Au Japon, on était confinés à l’hôtel, on n’avait pas le droit de sortir. Ici c’est différent, c’est la fête.»
«Les JO, c’est comme les Knacki»
Assis dans l’herbe au soleil, un verre de bière à la main, Pierre et Ségolène, la vingtaine tous les deux, sont parmi les rares spectateurs rencontrés ce lundi après-midi à ne pas avoir de place pour aller voir des épreuves – ils sont plus nombreux en soirée. Ces Jeux, Pierre, pourtant mordu de foot et de sport en général, y était même franchement opposé. Ce Lyonnais d’origine, qui habite Paris depuis quelques années, cite en vrac «la casse sociale» que les olympiades ont engendré à Paris, le fait que le gouvernement et Macron en tête se servent des JO pour se redonner une bonne image et les marques pas toujours éthiques qui tournent autour de l’évènement. «Et puis, est-ce que c’est vraiment normal de privatiser une ville comme ça pour un événement ?» s’interroge-t-il.
Enquête
Ce lundi, il est pourtant là, les yeux rivés sur un écran XXL quand Nicolas Gestin explose tout le monde en canoë et rafle l’or. Il peine tout autant à décrocher son regard quand le judoka Joan-Benjamin Gaba, surprise du jour, combat pour l’or face à un Azerbaïdjanais. «Ce qui m’a mis un coup, c’est la cérémonie. C’était magnifique, il y a vraiment eu un avant et un après, dit-il. Et maintenant, il y a les épreuves, ces athlètes qui se dépassent, les belles images à la TV… A la fin, c’est dur de rester indifférent. J’avais eu le même sentiment pendant la Coupe du monde au Qatar. Les JO, c’est comme les Knacki : c’est bon, mais il vaut mieux pas regarder comment c’est fait.»