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Interview

Bruna Alexandre, pongiste aux Jeux de Paris 2024 : «Pour une athlète paralympique, faire aussi les JO, c’est des années de persévérance»

Quadruple médaillée paralympique, double championne chez les valides dans son pays, la Brésilienne de 29 ans concourt aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Un exploit rare dont elle raconte avec émotion les coulisses.
Bruna Alexandre aux JO de Paris, le 5 août. (Kim Hong-Ji/Reuters)
publié le 1er septembre 2024 à 7h00

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Le 5 août, Bruna Alexandre est entrée dans l’histoire de son pays. Ce n’est pas son parcours brillant que les Brésiliens retiendront – elle a été éliminée en huitième de finale du tournoi par équipes de tennis de table face à la Corée du Sud. Mais plutôt les images de l’athlète de 29 ans, amputée d’un bras, loin d’être ridicule face à des adversaires qui, elles, en avaient deux. Jamais, jusqu’à ce match, une Brésilienne n’avait participé aux Jeux olympiques et aux Jeux paralympiques. Et dans le monde, ils ne sont qu’une poignée, hommes et femmes confondus, à avoir réussi à doubler l’olympiade la même année. A Paris, la pongiste australienne Melissa Tapper réussit cette année le même exploit.

Quelques jours après la rencontre face à la Corée du Sud, dans une bruyante salle de la Casa Brasil, dans le Parc de la Villette à Paris, la quadruple médaillée paralympique (trois fois en bronze, une fois en argent) nous a raconté son expérience, son émotion et ses ambitions.

Qu’avez-vous ressenti lors des Jeux olympiques à Paris ?

Je crois que je ne réalise pas encore totalement ce qui m’est arrivé. Mais il y a eu une première prise de conscience quand je suis rentrée dans la salle. Le public français était incroyable, les gens m’ont soutenue, me donnaient beaucoup d’énergie… J’étais très émue, au bord des larmes. Voir comment ils supportent les Français, ça m’a fait penser à Rio, en 2016, quand je jouais à la maison. Aujourd’hui, j’ai 29 ans, j’ai commencé le tennis de table à 7 ans. Jamais, à l’époque, je n’aurais imaginé que j’irai aussi loin. Il faut comprendre à quel point c’est dur, pour une athlète paralympique, de faire aussi les Jeux olympiques. C’est beaucoup d’années de persévérance. Il faut te convaincre que, même si tu n’as qu’un bras ou qu’une jambe, c’est possible.

Qu’est-ce que cela a changé, pour vous, de jouer contre des athlètes olympiques ?

J’ai perdu mon bras quand j’avais 3 ans, à cause d’une réaction à un vaccin, le BCG [contre la tuberculose, ndlr]. Quand j’ai commencé le tennis de table, j’avais beaucoup de difficulté pour servir, c’est dur quand on n’a qu’un bras. Aujourd’hui, le service est un de mes points forts. Mais j’ai toujours des difficultés au niveau de l’équilibre. Je le ressens beaucoup, surtout quand je joue les meilleures du monde, comme contre l’équipe de Corée du Sud cette année, troisième nation mondiale. Les filles sont très rapides, c’est dur pour moi de suivre.

Quand avez-vous commencé à croire qu’il était possible de faire les deux olympiades ?

Quand j’ai été championne du Brésil chez les valides en 2021 et 2022. Ensuite, j’ai fait les Jeux panaméricains, j’y ai vraiment joué les yeux dans les yeux avec les autres filles. Puis, en février de cette année, je faisais partie des sélectionnées pour les championnats du monde par équipe en Corée du Sud. J’ai joué six matchs, j’en ai gagné quatre. Les deux autres, je les perds contre la 5e et la 20e joueuse mondiale. J’étais montée autour de la 170e place mondiale. Dans ma tête je me disais : «OK, cette place sera la tienne.» Mais il a fallu attendre juin pour que la Fédération officialise la liste pour Paris. C’était long. Un jour, l’entraîneur national m’envoie un message et me dit : «J’aimerais t’appeler, et avec la caméra.» C’était pour m’annoncer que j’en étais. Sur le coup, je n’ai pas réalisé. C’est vraiment quand j’ai vu la publication de la fédération brésilienne sur Instagram que je me suis rendu compte que c’était fait. Ensuite, beaucoup de choses me sont passées par la tête, j’ai repensé à tout le parcours, à toutes les épreuves.

Est-ce que vous avez le sentiment d’être devenue un exemple au Brésil ?

J’ai espoir que ce que j’ai fait puisse ouvrir beaucoup de portes. Que ça montre aux gens, dans notre pays, que c’est possible. Et même en France, d’ailleurs. Je pense aussi à l’inclusion, j’espère que cela permettra de la faire avancer. J’ai vu que de plus en plus de monde me suivait sur les réseaux sociaux. Ça me fait plaisir, qu’on s’intéresse au sport paralympique comme olympique. J’espère juste que tous ces gens continueront de me suivre et de me soutenir dans les moments plus compliqués.

En quoi les JO vont vous aider pour les paralympiques ?

J’ai pu jouer sur les mêmes tables que celles des Jeux paralympiques, m’imprégner de la salle, de l’ambiance. J’ai aussi pu découvrir le village olympique, voir que les lits y sont beaucoup trop durs (rire). J’y ai aussi croisé beaucoup d’athlètes inspirantes, comme les gymnastes Simone Biles ou Rebeca Andrade. Je suis sûre que tout cela me servira. J’ai remporté l’argent à Tokyo, aujourd’hui je suis tête de série numéro 3 pour les Jeux paralympiques, et je crois plus que jamais à cette médaille d’or en individuel. Dans le pire des cas, j’aurai aussi le double mixte et le double féminin pour y arriver.