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Cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 : une frise historique à rebours «d’une histoire virile, héroïsée et providentielle»

JO Paris 2024dossier
Dans un entretien croisé au «Monde», Leïla Slimani, Patrick Boucheron, Fanny Herrero, Damien Gabriac et Thomas Jolly ont présenté ce mardi 16 juillet la philosophie de l’événement, qui se veut «d’un anachronisme joyeux».
La Seine accueillera la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Paris le 26 juillet. (Thibault Camus/AP)
publié le 16 juillet 2024 à 17h50

Elle s’annonce moins rance que celle de la Coupe du monde de rugby 2023. A dix jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, ses créateurs ont un peu plus dévoilé les contours de l’événement, dans une interview au Monde ce mardi 16 juillet. Sous la houlette du metteur en scène Thomas Jolly, cette joyeuse troupe comprend la romancière et Prix Goncourt 2016 Leïla Slimani, l’historien du Collège de France et coauteur du best-seller Histoire mondiale de la France (2017, Seuil) Patrick Boucheron, la scénariste de la série à succès Dix pour cent Fanny Herrero, et le dramaturge Damien Gabriac.

Le mois dernier, Libé avait pu observer un court extrait de l’évènement, organisé dans la plus stricte confidentialité. Alors que la date se rapproche, la cérémonie d’ouverture du 26 juillet s’annonce entre déconstruction du chauvinisme et célébration du récit populaire, français et mondial. Avec la volonté d’émerveiller, et de retrouver la «part d’enfance en nous, la joie de la découverte».

Comme principale inspiration, Patrick Boucheron cite «la cérémonie imaginée par Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la Révolution française, en 1989». Il estime que «le défilé déjouait les stéréotypes nationaux et ne craignait pas de prôner le “métissage planétaire” avec un optimisme que nous avons aujourd’hui perdu». A l’époque, la parade sur les Champs-Élysées, qui a marqué l’histoire du spectacle vivant, avait été critiquée par la presse étrangère pour son faste et son gigantisme, ainsi que pour son décalage avec les célébrations populaires de l’évènement, notamment dans le livre Adieu 89 de l’historien américain Steven L. Kaplan paru en 1993.

L’héritage de Goude se ressent aussi dans la volonté de «parler du monde à la France et parler de la France au monde», selon Patrick Boucheron. «J’avais l’idée d’un immense spectacle mais il me manquait un récit pour m’adresser au monde entier», explique Thomas Jolly, qui dit avoir disposé, avec ces quatre auteurs, de «l’équipe idéale».

Ils assument aussi une opposition nette à toute forme de nationalisme. Selon Patrick Boucheron, «la cérémonie d’ouverture de Pékin, en 2008, c’est exactement tout ce que nous ne voulions pas faire : une leçon d’histoire adressée au monde […] une ode à la grandeur et une manifestation de force.» L’équipe déclare en chœur vouloir faire «l’inverse» d’une reconstitution façon Puy-du-Fou, «le contraire d’une histoire virile, héroïsée et providentielle», pour Boucheron. Même si l’image d’Épinal d’Emily in Paris et Amélie Poulain ne disparaît pas pour autant. «Il fallait jouer avec les clichés, ces regards américains sur la France, mais sans s’en moquer», nuance Thomas Jolly.

Une cérémonie géante en toute humilité

De fait, la parade olympique du 26 juillet veut rompre avec les exemples passés, en sortant d’un «simple» stade et en se déroulant sur la Seine et autour des édifices emblématiques de la capitale. «Les monuments cohabitent dans un anachronisme joyeux qui pose mille questions […] depuis quand est-on français ?» interroge Thomas Jolly. Sur les berges et les ponts, 3 000 danseurs et comédiens proposeront douze tableaux artistiques, tandis que les délégations nationales défileront sur des bateaux. Selon une indiscrétion de Thomas Jolly, la cérémonie se déroulera également «dans le ciel». En espérant que la pluie ne force pas tout le monde à rentrer au Stade de France.

Toujours dans l’idée de sortir des normes traditionnelles de ces cérémonies, Fanny Herrero explique que le groupe a «voulu contrer notre tendance naturelle à faire la leçon». Leïla Slimani détaille : «Il fallait qu’il y ait de la joie, de l’émulation, du mouvement, de l’excitation et de la pétillance, et pas seulement ces fameuses valeurs philosophiques traditionnelles que la France exhibe volontiers avec parfois trop d’assurance…» D’ailleurs, elle a voulu jouer «de l’image que les Français peuvent avoir dans le monde […], celle de personnes très sûres d’elles». L’équipe de créateurs «ne [voulait] surtout pas d’esprit de sérieux dans cette cérémonie. Il y a beaucoup d’humour» ajoute l’autrice à succès.

Une légèreté d’autant plus bienvenue dans la situation politique actuelle. Si le Rassemblement national était sorti en tête des législatives, «le spectacle serait devenu tout autre chose : une sorte de cérémonie de résistance», admet Thomas Jolly. «Nous avons infiniment besoin de ce moment apaisé et partagé, de ce temps enfin suspendu, loin de cette violence qui éclate partout», reprend Leïla Slimani. «J’ai le très grand espoir que les spectateurs acceptent de se laisser emporter. Comme le dit Thomas, on sera tous là, vivants, dans le monde, en même temps.»