Bob Bowman serait-il, à l’instar de son quasi-homonyme chanté par Indochine, le vrai héros de tous les temps ? Si par «temps», on entend les chronos canons de Léon Marchand, petit prodige de la natation française qui participe cette semaine aux championnats de France de natation à Chartres, alors sans doute, oui. Mais ce héros-là n’est absolument pas égaré dans une vallée infernale. L’année du coach Bowman, qui vient tout juste de fêter ses 59 ans, pourrait difficilement mieux se passer.
En mars, l’Américain soulevait la coupe du championnat universitaire avec ses nageurs d’Arizona State, une première dans l’histoire de l’université. Une victoire marquée du sceau d’un talent en particulier, celui de son poulain français, que Bowman tire au sommet de la planète natation depuis près de quatre ans. Jusqu’au 21 juin, Bowman suit à distance le jeune Toulousain dans le bassin de Chartres, où Marchand devrait assurer, sans trop forcer, sa qualification pour Paris. Premier défi sur sa route vers Paris 2024 : confirmer sa domination sur le 400 m 4 nages, dont Marchand a battu, l’été dernier, le record du monde jusque-là détenu par un monstre sacré de la natation, Michael Phelps – passé lui aussi par l’école Bowman, on y reviendra. C’est chose faite, ce lundi 17 juin. Après avoir distancé ses concurrents dès les premières coulées, Léon Marchand s’impose, sans briller, en 4′10″62, à huit secondes de son record (4′2″50).
28 médailles olympiques avec Michael Phelps
Le champion de 22 ans est rentré en France début juin, tandis que son entraîneur est resté aux Etats-Unis pour superviser ses nageurs en lice pour les sélections olympiques américaines. En juillet en revanche, Bowman accompagnera son protégé lors du dernier stage de préparation des Bleus de la natation et pendant les Jeux, il revêtira le survêtement bleu de l’équipe de France, pleinement intégré au staff comme il s’y était engagé dès la fin de l’année dernière. Si tout se passe comme prévu, Bob Bowman verra ensuite couler de l’or sur son disciple, qui pourrait s’aligner sur quatre épreuves individuelles et deux relais.
Pour conclure cette année 2024, Bowman prendra ses quartiers à l’université du Texas, emportant dans ses bagages Léon Marchand, qui vient de passer pro mais continuera de s’entraîner avec l’équipe universitaire. Au Texas, Bob est attendu comme le messie. Lui, l’illustre coach «qui a transformé le programme d’Arizona State en champion national au cours des neuf dernières saisons» et a été intronisé en 2016 au Swimming Hall of Fame (le Panthéon mondial de la natation), pouvait-on lire dans le communiqué texan à l’annonce de son arrivée.
Le quasi-sexagénaire sillonne l’Amérique en claquettes de piscine depuis 1986, date de l’obtention de son diplôme d’entraîneur. Des bassins de Floride, d’Ohio, du Nevada, de Californie, d’Alabama, du Michigan, d’Arizona… jusqu’au Texas. C’est dans le Maryland, en 1996, que sa vie a pris un tournant. Coach au North Baltimore Aquatic Club, on lui présente un garçon aux chronos déjà prometteurs. L’année suivante, Bob Bowman prend ce petit Michael Phelps sous sa houlette. Il ne le lâchera plus d’une semelle pendant vingt ans, l’entraînant jusqu’à ses 31, quand sonnera l’heure de la retraite, après les JO de Rio en 2016. Le bilan du duo : 28 breloques olympiques, dont 23 en or. Soit le plus grand palmarès jamais obtenu par un nageur. Ou par un athlète olympique tout court. Cette renommée sportive a, par ricochet, fait le prestige de Bob Bowman. Depuis la décennie 2000, dans la galaxie natation, l’entraîneur est, dixit la Fédé française, «salué au-delà des seuls bassins de compétition». Pas flagrant au premier abord quand on voit ce bonhomme de gabarit moyen, à la tête ronde et aux lunettes rectangulaires.
«Je place constamment la barre plus haut»
Dans son autobiographie parue après les Jeux de Pékin en 2008, Michael Phelps résumait la philosophie, «simple», de son entraîneur : «Nous faisons ce que les autres ne peuvent, ou ne vont pas faire […] Bob est extrêmement exigeant. Mais c’est avec lui que j’ai appris cette vérité essentielle : rien n’est impossible». Au plus haut de sa gloire, Phelps répétait souvent en interview, au sujet de Bowman : «Sans lui, je ne serais pas là. Je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui». Le coach a été plus qu’un mentor, faisant aussi office de «figure paternelle» pour le jeune Michael qui avait mal vécu la séparation de ses parents : «Il a été présent à chaque instant. Chaque fois que j’en ai eu besoin». Aujourd’hui, les deux hommes sont toujours très complices. Et lorsque Bowman met des publications Instagram pour célébrer ses résultats dans le championnat universitaire, Deborah Phelps, la mère du titan, y va toujours de son petit commentaire affublé d’un cœur.
Intransigeant, le technicien pousse ses poulains toujours plus loin. Lorsque, pendant sa préparation pour les finales universitaires de mars dernier, Libération l’interrogeait sur «la recette Bowman», l’intéressé répondait : «Je pense que le secret de mon travail est de ne jamais trop me satisfaire de quoi que ce soit. Je place constamment la barre plus haut. Et je lance aux gars des défis qu’ils n’ont jamais relevés».
Au-delà de sa rigueur, Bob Bowman est aussi, et surtout, salué pour ses qualités humaines. Un caractère qui colle à la réputation de son prénom : Bob, dans l’imaginaire français, c’est le gars cool, comme Marley, Dylan ou L’Eponge. Lui, sa façon d’être cool, c’est de blaguer, soit pour esquiver les questions des médias, soit pour alléger les consignes données à ses nageurs, et y compris en français, dont il maîtrise les rudiments grâce à une prof de lycée passée par la Sorbonne. Devant les caméras d’une télé française venue prendre des nouvelles de Léon Marchand en 2022, l’année de ses premiers championnats du monde victorieux, Bowman se poile en appelant son protégé «mon bébé». Le rire fait-il partie de son coaching ? A cette question, il y a un an, Bowman répondait, toujours en se marrant : «Absolument. J’essaie de faire en sorte que tout cela reste léger. Le travail est dur, je n’ai pas besoin d’être dur moi aussi».
Transformer en or tout ce qu’il touche
Lors d’un échange en mars avec Libé, Léon Marchand le dépeignait comme «un entraîneur unique» qui «rend l’entraînement plus amusant». «Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi impliqué que lui, poursuivait-il. Chaque fois que nous faisons une série très difficile, il court autour de la piscine pour essayer de nous encourager.» Ses camarades d’Arizona State étaient tout aussi élogieux. «C’est vraiment un coach génial, il nous pousse plus loin chaque jour», vantait le Canadien Ilya Kharun. Alors bien sûr, la méthode Bowman ne sied pas à tous. Le coach garde un souvenir mitigé de sa première expérience avec un Français, l’ancien nageur Yannick Agnel (mis en examen pour viol et agression sexuelle), qu’il a entraîné de 2013 à 2014. Mais cette collaboration avortée lui aura permis de se frotter à la culture sportive française, et de mieux couver Léon Marchand à son arrivée en Arizona.
L’histoire entre Bob Bowman et Léon Marchand, prêt à tout pour être coaché par un grand nom, a commencé par un mail envoyé en 2020. Elle a déjà débouché sur une flopée de médailles, qui manquaient cruellement à la natation française depuis l’âge d’or du début de la décennie 2010 peuplée de Lacourt, Manaudou, Muffat ou Stravius. Et elle continuera de s’écrire cet été. Fort de ses sept olympiades en tant que coach et de son vécu d’ancien entraîneur en chef de l’équipe olympique américaine, Bowman sera un atout précieux pour Marchand mais aussi pour le reste des Bleus. Qui espèrent qu’il continuera à transformer en or tout ce qu’il touche.