Auriana Lazraq-Khlass a tenu parole. Certes, quand nous l’avions rencontrée, il y a trois semaines aux championnats de France d’épreuves combinées à Oyonnax, l’heptathlète n’avait pas promis de remporter une médaille lors de ses championnats d’Europe – elle savourait déjà son premier titre national et elle le savait, le plateau promettait d’être terriblement relevé à Rome. Mais elle avait annoncé : «Je vais encore progresser sur les haies, en hauteur, au poids. Là, commencer par un record en début de saison, c’est parfait, surtout que cet hepta est loin d’être parfait. C’est dur de faire un hepta parfait, quasiment impossible d’ailleurs. Mais il y a beaucoup de choses à perfectionner donc ça me met en confiance, je sais que j’ai encore plein de cartes à jouer.»

Et en effet, ces vendredi et samedi 8 juin, au Stadio Olimpico, l’heptathlète aux yeux ailés a montré qu’elle avait des réserves, sur les haies, en hauteur, au poids, mais aussi au 200m, au javelot… au point d’aller chercher la médaille d’argent européenne au terme de deux journées d’une intensité dont elle a le secret : «Moi, on ne me verra jamais neutre, sans émotion, s’analyse-t-elle. Je n’ai pas de curseur à moitié.» Alors elle a beaucoup crié, sauté, pleuré, euphorique, à mesure que les performances s’enchaînaient sous le soleil romain. L’hepta parfait «quasiment impossible ?» Vraiment ?

Donc ses records personnels ont pris cher. Et presque tous. Déjà au 100m haies : 13″35 contre 13″57 auparavant. Une bonne baffe. Puis un record personnel égalé à la hauteur (1m77, alors qu’elle plafonnait cette saison à 1m69). Quant au poids… un uppercut : 15m27, soit plus d’1 mètre de mieux que le précédent meilleur lancer de sa vie. La journée de vendredi s’achevait en beauté avec le 200m, et un nouveau record sur la distance qui confortait sa troisième place au classement général. «J’ai eu du mal à me remettre de mon poids, j’ai dû aller marcher, je ne m’y attendais tellement pas !» rigolait-elle encore en zone mixte après le 200m. Mais je suis tellement heureuse ! Quelle journée ! Pour demain, je n’anticipe pas. Mais si avant le 800 j’ai quelque chose à jouer, bien sûr que j’irai le chercher !»

A ce moment, alors que la Française s’apprêtait à aller plonger dans un bain froid pour récupérer, puis tenter de faire redescendre l’adrénaline afin de trouver le sommeil, la médaille de bronze semblait à sa portée, derrière un duo belge redoutable : Noor Vidts, championne du monde en titre de pentathlon, et surtout Nafissatou Thiam, double championne olympique, à nouveau sur les pistes après une longue absence pour blessure.

Mais de retour au stade samedi, Auriana Lazraq-Khlass est repartie de plus belle, avec une longueur surmaîtrisée et, surtout, au javelot, un nouveau record personnel pulvérisé de plus de 4 mètres (48m23) : de quoi remonter deuxième au classement général. A ce moment, plutôt que «quelque chose à aller chercher sur le 800m» (l’or étant, sauf grosse défaillance, promis à Thiam, largement en avance au général), la Messine avait surtout une seconde place à ne pas se faire chiper. Et là, ça a dû calculer sec dans le camp français. Car si l’athlète refuse toujours de regarder les points et classement au cours de l’heptathlon, cela ne vaut que jusqu‘au 800m. «A ce moment-là, c’est clair, je calcule, le coach aussi, on fait le débrief. Et après c’est le moment où il faut être fort mentalement, car c’est là qu’on va chercher les titres, les records. Donc oui je fais mes comptes!»

Elle savait donc qu’elle n’avait que 78 points d’avance, l’équivalent d’une poignée de secondes au 800m, sur la troisième, Noor Vidts. Et qu’elle allait devoir lui coller au train, la Belge étant donnée plus forte sur la distance. Mais Auriana Lazraq-Khlass a tenu bon pendant les deux tours de piste, qu’elle n’avait jamais bouclés aussi vite (2′12″07). Résultat final: un record énorme porté à 6635 points, une médaille d’argent autour du cou, les minimas olympiques dans la poche.