L’impression est trompeuse. A les voir se jeter dans la pente avec des manières de risque-tout, puis se taper dans les mains comme dans un skatepark dès l’arrivée franchie, on les croirait tout juste sorties de l’adolescence. Les championnes du snowboard cross n’ont pourtant rien de jeunes casse-cou à la recherche de fun et de sensations fortes. Aux Jeux de Pékin, ce mercredi 9 février, le podium de l’épreuve olympique a invité sur sa plus haute marche une Américaine au passé long comme un jour sans soleil. Lindsey Jacobellis dispute en Chine ses cinquièmes Jeux d’hiver consécutifs. Pour ses débuts à Turin en 2006, elle avait raflé la médaille d’argent. Depuis, elle était poursuivie par la poisse. A Zhangjiakou, elle a décroché l’or. Enfin. A son dernier essai. Précision : l’Américaine a fêté ses 36 ans en août dernier.
Au mépris des idées reçues, le snowboard cross n’est donc pas une affaire de jeunes pousses habitées par l’audace et dénuées de complexes. La discipline requiert sagesse et expérience. La Française Chloé Trespeuch, 27 ans, peut en témoigner. Sa médaille d’argent, décrochée mercredi après-midi au terme d’une finale à quatre maîtrisée de bout en bout, récompense sa patience. «J’ai choisi une trajectoire assez risquée, notamment en demi-finale, explique-t-elle. J’ai parfois été derrière, mais cela ne m’a pas perturbée. J’aime devoir revenir. Etre derrière pendant une course m’oblige à penser stratégie, cela renforce encore le défi que représente chaque course. Le challenge et la compétition ont toujours été mon moteur dans le sport.»
Médaille surprise à Sotchi
Posée sur les skis dès l’âge de deux ans, sur les pistes de Val Thorens, Chloé Trespeuch découvre très vite que le plaisir est plus grand à glisser sur une seule planche. Elle se lance dans le snowboard. L’apprentissage lui est facilité par la présence protectrice d’un grand frère, Léo, saisi avant elle par le virus du surf des neiges. L’aîné entre le premier en équipe de France. Il s’offrira en 2007 une médaille d’or aux Jeux universitaires. «Il a été mon premier modèle», reconnaît la jeune femme.
Aux Jeux de Sotchi en 2014, elle n’a pas encore 20 ans, un palmarès sans épaisseur, mais elle surprend tout le monde en décrochant la médaille de bronze. Sur le moment, elle en attribue le crédit à l’insouciance de sa jeunesse. Mais cette première réussite olympique, arrivée sans prévenir, la plonge dans un abîme de doute et d’incertitude. «J’ai commencé à penser que je devais prouver, aux autres et à moi-même, que je méritais cette médaille, explique-t-elle. La pression que je me suis imposée est vite devenue difficile à supporter. J’ai perdu cette sensation de liberté que j’éprouvais plus jeune en snowboard.»
Désillusion à PyeongChang
Quatre ans plus tard, aux Jeux de PyeongChang 2018, les experts lui dessinent à traits fins un profil de médaillée. La prévision est crédible, après deux podiums une année plus tôt aux championnats du monde. Mais une chute en finale, alors que la médaille lui tendait les bras, envoie ses illusions par le fond. «Une très grosse déception, reconnaît-elle. Mais cet échec m’a conduit à travailler encore plus fort, techniquement et mentalement. Ma médaille de bronze en 2014 était très inattendue. L’argent, aujourd’hui, est vraiment la médaille du travail.»
A sa descente du podium, mercredi, Chloé Trespeuch a confié ne pas encore savoir où elle rangerait sa breloque, une fois rentrée chez elle. Mais elle lui trouvera une bonne place : «Celle des Jeux de Sotchi est dans mon salon. Je l’ai entourée autour d’un ballon de rugby, car mon compagnon est rugbyman professionnel. L’avoir sous les yeux me rappelle pourquoi nous faisons du sport. Et tout le chemin à parcourir pour en arriver là.»
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