Menu
Libération
Merci de l'avoir posée

Equité, examens médicaux et sportifs, risque de triche… Comment sont classés les athlètes des Jeux paralympiques 2024 ?

Subtiles, les catégories dans lesquelles concourent les parathlètes dépendent de l’impact de leur handicap sur leur pratique sportive. D’une épreuve à l’autre, les critères varient et sont parfois contestés.
Aux Jeux de Tokyo en 2021, les nageurs s'élancent lors de la finale du 100 m brasse de la catégorie SB7. (Behrouz Mehri/AFP)
publié le 25 août 2024 à 13h01

Tous les quatre ans, au moment des Jeux paralympiques, les mêmes questions reviennent quand les spectateurs découvrent les épreuves à la télévision : «Mais pourquoi cette nageuse qui a deux jambes se retrouve à concourir face à une autre qui, elle, n’en a pas ?» ; «Comment se fait-il que ce joueur de tennis de table de petite taille joue contre un autre qui dépasse, à vue d’œil, le mètre 80 ?» ; «Et pourquoi n’y a-t-il pas de malvoyants en basket, d’amputés en foot ou de personnes avec un handicap mental en escrime ?»

Ces différences qui sautent aux yeux du néophyte résultent des classifications, processus complexe et propre à chaque discipline, qui vise à garantir une certaine équité entre les athlètes. «La classification, c’est la première compétition de l’athlète paralympique», nous dit Arnaud Litou, le manager de la haute performance à l’Agence nationale du sport. Catégories, examens, contestations, triche… Libé fait le tour des grandes questions autour de la classification.

Des catégories, pour quoi faire ?

Lors des Jeux olympiques, il n’y a pas de prise de tête : les hommes et femmes les plus rapides du monde se défient sur une piste d’athlétisme ou dans les bassins de natation, les meilleurs basketteurs, footballeurs, handballeurs s’affrontent sur les terrains. Pour les Jeux paralympiques, c’est une autre histoire : comme l’idée est de permettre à toutes les personnes en situation de handicap de pouvoir s’exprimer, il est impossible de mettre côte à côte tout le monde sur la ligne de départ, indépendamment du type ou du degré de handicap. Sinon, les personnes aux handicaps les plus légers rafleraient toutes les médailles. Il existe donc diverses catégories pour offrir une compétition la plus équitable possible. Le principe est le même que pour les catégories de poids dans les sports de combat : faire concourir Teddy Riner, ses 2,04 m et ses 140 kilos, face au 1,60 m et aux 60 kg de Luka Mkheidze n’aurait aucun sens.

D’un sport à l’autre, les critères pour déterminer ces catégories diffèrent. En tennis fauteuil, il suffit d’avoir un certain niveau d’atteinte aux membres inférieurs, qui empêche de pratiquer le tennis debout, pour participer. En athlétisme ou en natation, c’est différent : on regroupe les athlètes en fonction de «niveaux de limitation fonctionnelle jugés similaires», explique le Comité paralympique et sportif français, sur son site internet. Une personne amputée de plusieurs membres peut donc nager à côté d’une personne qui, elle, a ses deux bras et ses deux jambes si on estime qu’une fois dans l’eau il n’y a plus de différences. «On ne fait pas une catégorie par nom de maladie, cela n’aurait pas forcément d’intérêt, mais par impact du handicap dans la pratique du sport», explique Claire Delpouve, médecin chargée du suivi médical réglementaire au sein de la Fédération française handisport. Arnaud Litou complète : «Le handicap est par nature singulier. Les classifications visent à rendre le moins imparfait possible un système qui l’est par nature. Si on voulait être parfait, il faudrait presque une catégorie par personne, mais il n’y aurait plus de compétition.»

Est-ce que toutes les personnes en situation de handicap sont représentées ?

Chaque personne en situation de handicap qui souhaite faire carrière doit d’abord se demander si son handicap est pris en compte dans une catégorie du sport qui l’intéresse. D’une discipline à l’autre, les critères ne sont pas les mêmes. Une personne malvoyante peut sous certaines conditions pratiquer du goalball ou du cécifoot, mais il est impossible pour elle de participer aux Jeux en basket ou tennis, où il n’existe aucune catégorie destinée aux malvoyants.

Il en est de même pour les handicaps mentaux qui ne sont inclus que dans trois sports aux Jeux : athlétisme, natation et tennis de table. Quant aux personnes malentendantes, elles n’ont tout simplement pas de catégorie dédiée aux Jeux paralympiques. Des compétitions à part, les Deaflympics, sont organisées tous les quatre ans (les prochains ont lieu à Tokyo, en 2025).

Comment sont classés les athlètes qui ont des handicaps moteurs ?

Pour les personnes qui ont des déficiences motrices, chaque sport a son propre code de classification. Mais le principe est souvent le même : les athlètes passent entre les mains d’un panel d’examinateurs qui doivent, selon un cahier des charges, évaluer le degré d’impact du handicap dans la pratique du sport. «Ça fonctionne toujours en binôme, illustre Baptiste Hemeryck, kiné et classificateur national en natation. Une personne issue du corps médical regarde le dossier médical et fait des tests sur table pour évaluer la pathologie, la coordination, la force musculaire ou encore mesure les membres amputés pour estimer le pourcentage manquant. L’autre personne est un expert du geste sportif – ça peut être un coach, un ancien sportif. Il évalue les conséquences de la pathologie en pratique. Dans l’eau, il regarde la flottabilité, la nage ou encore la propulsion.» A l’issue du test, une classe est attribuée au sportif.

En natation, détaille Claire Delpouve, une personne qui n’est pas en situation de handicap a 300 points de «fonction», le maximum. Puis on enlève des points en fonction de l’atteinte qu’entraîne la pathologie sur la pratique. A partir de 15 points de perdus, on est éligible à la compétition, dans la catégorie S10. Ensuite, par tranche de 20 à 25 points, on change de catégorie, jusqu’à la catégorie S1 pour ceux qui ont 65 points ou moins. En athlétisme ou en tennis de table, le principe est similaire même si toutes les pathologies ne se mélangent pas. Il existe ainsi en athlétisme des catégories distinctes pour les personnes qui ont un handicap moteur cérébral, qui sont en fauteuil, qui sont amputées au niveau de leurs membres supérieurs ou inférieurs, avec là aussi plusieurs sous-catégories en fonction de la gravité de la pathologie et de son impact sur la pratique. Forcément, le nombre de podiums explose : il y aura lors des Jeux paralympiques 549 médailles d’or distribuées, contre 329 pour les JO (qui comptaient pourtant dix sports de plus).

Les athlètes sont ensuite observés en compétition pour s’assurer que la catégorie qui leur a été attribuée correspond bien à leur handicap et que leurs capacités et performances sont les mêmes que lors de l’évaluation. Ils repassent un examen similaire à l’étranger lorsqu’ils veulent participer à des compétitions internationales.

Que pensent les athlètes de ces classifications ?

Qui dit évaluation du handicap dit, parfois, frustrations. Il arrive régulièrement qu’un sportif se retrouve dans une catégorie qui lui est moins favorable, dans laquelle il aura plus de mal à performer et à atteindre les podiums que dans une autre. Ceux qui s’estiment lésés peuvent toujours déposer un recours et être réexaminés par un autre panel. D’autres, à l’inverse, ont du mal à comprendre pourquoi certains athlètes, qu’ils pensent pourtant moins lourdement handicapés qu’eux, se retrouvent à concourir à leurs côtés. Théo Curin, quadri amputé, avait ainsi décidé d’arrêter la natation en voyant deux nageurs qui avaient des mains arriver dans sa catégorie et écraser la concurrence.

«Etre classificateur, c’est un peu comme être sélectionneur de foot : on a tous une opinion sur les joueurs qu’on mettrait sur le terrain. Evidemment que, parfois, on peut trouver ça injuste. La catégorie qui nous est assignée, ou qui est assignée à quelqu’un d’autre, peut ne pas correspondre à ce que l’on ressent, à ce que l’on voit, explique Sami El Gueddari, directeur technique à la Fédération française handisport. Mais il y a tout un suivi médical derrière, des professionnels qui ont eu accès au dossier de l’athlète. Les procédures s’appuient sur des éléments robustes qui sont constamment revus et améliorés. La classification est là pour être juste, pour garantir l’équité des chances, pour évaluer ce que je peux faire, pas ce que je ne peux pas faire. Par exemple, si vous n’avez pas de handicap, théoriquement rien ne vous empêche de nager comme [Laure ou Florent] Manaudou. Après, tout le monde n’a pas les capacités de Manaudou. Ici, c’est pareil : on peut se dire qu’on est dans une catégorie qui n’est pas la nôtre et abandonner, ou se dire qu’on peut se battre pour progresser et rattraper les meilleurs.»

Peut-on falsifier les tests ?

Quand on évoque la classification des athlètes, un refrain revient toujours : la triche. Paraît-il que certains exagèrent volontairement leur handicap lors des tests, en rajoutent, jouent la comédie pour être inscrits dans une catégorie qui leur est plus favorable. Paraît-il aussi que certaines délégations incitent leurs athlètes à multiplier les exercices physiques avant un test pour être plus fatigués. Les mêmes exemples de triche reviennent en boucle : cette cycliste néerlandaise qui faisait du vélo en fauteuil alors qu’elle était, en vérité, capable de marcher ; ces joueurs de basket espagnols qui s’étaient fait passer pour porteurs d’un handicap mental alors que la majorité d’entre eux n’en avaient pas ; ou encore cette nageuse malvoyante allemande qui n’était finalement pas si malvoyante que ça, et avait même fini par passer son permis de conduire après sa carrière.

Pour Sami El Gueddari, ces rares situations appartiennent aujourd’hui au passé : «Dans les années 80, 90, et au début des années 2000, c’était différent, le monde paralympique était moins structuré et plus amateur. Mais aujourd’hui, cette triche relève plus de la légende qu’on raconte en tribunes. Les tests sont ultra-poussés, on continue de regarder l’athlète en compétition pour s’assurer que ses performances correspondent à ce que l’on a vu pendant l’examen et, s’il y a un doute, on peut toujours revoir l’athlète.» Claire Delpouve confirme : «Tricher, il y en a probablement qui essayent, mais ça n’a aucun intérêt. En tennis de table, on va utiliser des capteurs de puissance pour évaluer la force de frappe et la fatigabilité, en athlétisme ou en natation on va comparer les temps entre l’examen et la compétition… Les tricheurs finissent par se faire prendre.»