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Libération
Reportage

Golf aux JO de Paris 2024 : «Elle est tombée où la balle, j’ai rien vu»

JO Paris 2024dossier
Déception pour le public du golf national de Guyancourt, où la Française Céline Boutier a échoué dans sa quête de médaille. Choses vues et entendues sous le cagnard.
La Francaise Céline Boutier lors du dernier jour du tournoi olympique de golf, à Guyancourt ce samedi 10 août. (Paul Childs/REUTERS)
publié le 10 août 2024 à 18h22

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Nonobstant le prix prohibitif des nuggets de poulet (trois moignons d’aile panés)-frites (18 euros, mais après tout est-ce plus scandaleux que 9 euros pour une éponge jambon emmenthal sur les autres sites ?), le golf de Guyancourt est le meilleur spot olympique pour se nourrir. Dans les nombreuses «brasseries» olympiques (autres cartes que Visa, sponsor majeur des JO, refusées), on trouve même du couscous végétarien et des sandwiches camembert-cranberries. Faut-il y voir une particularité prêtée au public du golf, et laquelle ?

Précisons qu’il faut nourrir près de 30 000 personnes et qu’il est imprudent de se lancer sur les 18 trous du parcours le ventre vide et sans une gourde. Ce samedi 10 août, le public était venu voir Céline Boutier, révélation golfique française de l’année (avec Matthieu Pavon, chez les hommes) et possible médaillée. Après un départ canon mercredi, terminé en tête de la meute, une journée cauchemar jeudi et une remise à niveau, vendredi, elle partait en embuscade, à trois coups du podium. Sachant que sur un parcours de golf, rien ne ressemble moins à une journée que celle du lendemain, tous les (dés)espoirs lui étaient permis. On spoile, elle n’aura pas de médaille. Pour les photographes, eux, c’est le tartinage de crème solaire qui est obligatoire.

A 12 h 17, quelques milliers de personnes entourent le trou numéro 1 pour le départ de la Française ; dans sa partie, on trouve également une Chinoise et une Américaine. On n’ira pas jusqu’à comparer l’ambiance avec celles des sports collectifs, mais il y a un peu d’ambiance. Des «Cé-line» (clap-clap-clap) fusent quand elle apparaît sur la passerelle qui l’emmène jusqu’au départ du parcours peut-être le plus important de sa carrière. Les téléphones sortent des bermudas pastel pour immortaliser le moment. Une Marseillaise jaillit des gorges des spectateurs massés derrière les golfeuses, une autre de celles des personnes assises dans l’herbe jaunie, sur leur droite, mais les deux ne seront jamais à l’unisson. Mauvais présage pour la journée de Boutier ? Les plus prévoyants se sont munis d’un fauteuil trépied et d’une paire de jumelles.

Un «allez les bleus-po popo popopo» tente sa chance. «Oh non, pas ça», se lamente un homme. Mais déjà l’heure est au silence réclamé par le panneau «quiet» («Silence») brandi par un volontaire. Céline Boutier tape son premier drive, la balle part à près de 200 km/h. Personnellement, on n’a pas vu où. Heureusement qu’un écran géant matérialise par une traînée jaune la trajectoire du bolide. Qui atterrit dans le rough (les herbes hautes qui longent le parcours) : c’est pas top puisqu’il faut remettre la balle dans le droit chemin. D’ailleurs, Boutier réalise un bogey sur ce trou numéro 1 (un coup au-dessus du par, le score théorique qu’on doit réaliser pour entrer la balle dans le trou).

Dislocations de groupes d’amis

Les puristes vont peut-être hurler en lisant ces lignes, mais on a du mal à déceler une stratégie dans ce sport qui consiste à taper le moins de coups possibles pour conclure. En revanche, il en exige une de la part du public. Il faut imaginer qu’après que Céline Boutier a frappé un coup, des centaines de personnes se mettent en branle dans une transhumance qui doit les mener là où sa balle a atterri. Encore faut-il avoir vu où. Pour le néophyte, le golfe évoque le shadow boxing, cet exercice qui voit les pugilistes frapper dans le vide.

Pour savoir où se placer, il suffit de suivre la foule où se mélangent connaisseurs et néophytes. Pour comprendre ce qui se passe, mieux vaut se caler auprès des premiers. Bien sûr, sur le parcours, les golfeuses et leur caddy se déplacent bien plus vite qu’une foule de tous les âges. D’où le problème de stratégie : faut-il couper direct vers le green pour le dénouement ou se caler sur la progression des joueuses ? Les plus extrémistes décident même de faire l’impasse sur un trou pour aller directement au départ, voir l’arrivée du suivant. L’exercice entraîne son lot de dislocations de groupes d’amis, ou de familles, qu’un coup de fil plus ou moins énervé doit regrouper. «Vous êtes où ? Ah je te vois. Rendez-vous au départ du 5.» Sous le cagnard du golf national, le plus sage peut être de se caler sous l’un des rares arbres qui bordent le parcours.

«Elle n’a pas le putter chaud»

«Elle est tombée où [la balle] ? J’ai rien vu. Là, je l’ai vue. On saura à la réaction des autres si elle a réussi un beau coup», entend-on. Mais encore : «C’est où la fin du parcours ?» ; «On va brûler des calories. Heureusement qu’on a mis des baskets» ; Papa, j’ai mal aux jambes.» D’aucuns ont téléchargé le plan du parcours sur leur portable. #Malins.

Sur l’herbe, Céline Boutier n’est pas à la fête. «C’est sûr, elle aura pas de médaille», se désole une spectatrice. Et on n’en est qu’au tiers du parcours de 18 trous que les trois femmes boucleront en quatre heures (6 662 mètres). On réalise le calvaire que peut représenter une journée sans dans ce sport où l’on affronte trois adversaires : soi-même, le parcours et les concurrentes. Et on comprend que la violence du swing sur le premier coup de chaque trou peut laisser les épaules en vrac.

Bien sûr le moment le plus chaud, le plus accessible, se déroule sur le green, quand la force et la coordination du swing s’effacent devant la concentration et la précision du putting (faire entrer la balle dans le trou). De ce point de vue là, ça ne rigole pas trop pour Céline Boutier. «Elle est en délicatesse avec son putting», analyse un connaisseur. «Elle n’a pas le putter chaud», image un autre. Pour la Française – finalement arrivée 18e du tournoi olympique –, le diable se niche dans les brins de ce gazon dont elle s’efforce de déchiffrer la pente sous tous les angles en s’accroupissant. A ce moment, le public n’encourage plus la golfeuse mais la balle. Des «oooh» d’espoir quand elle s’approche de l’objectif, des «aaah» de désolation quand elle flirte avec le trou sans concrétiser. Pour les balles de Boutier, ce furent surtout des «aaah».