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Tokyo, la totale

Jeux de Tokyo : le récap des récaps

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Du feu d’artifice des sports collectifs français au désarroi et à la renaissance de la gymnaste Simone Biles, retour subjectif sur les temps forts de ces olympiades hors du commun avant de basculer sur les Jeux de Paris, dans trois ans.
Un feu d'artifice a été tiré lors de la cérémonie de clôture des JO de Tokyo, ce dimanche. (Dylan Martinez/REUTERS)
publié le 8 août 2021 à 21h10

Vendredi 23 juillet-dimanche 8 août. Nous y sommes. Les Jeux de Tokyo, si mal embarqués, reportés d’un an, entourés de doutes sur la possibilité même de pouvoir être organisés, considérés par une large partie de l’opinion publique japonaise comme un incubateur en puissance d’un rebond pandémique, se sont achevés ce dimanche. Performances, moments forts : ce qui nous a marqués durant ces olympiades.

L’apothéose des sports co

Soudain, tout s’est accéléré. Les cinq équipes de France engagées dans les sports collectifs traditionnels se sont extraites des phases de poules. Par un trou de souris pour les volleyeurs, qui n’avaient jamais atteint les quarts de finale d’un tournoi olympique. Handballeuses et handballeurs, basketteuses et basketteurs, volleyeurs : tous se sont retrouvés dans le dernier carré, laissant entrevoir un improbable Grand chelem. Les basketteuses ont cédé en demi-finale, balayées par des Japonaises insolentes de réussite à trois-points. Les quatre autres ont pris leur billet pour la finale.

Samedi, le réveil a sonné tôt. Il était 4h30 en France quand les basketteurs se sont lancés à l’assaut de la Team USA. Comme à Sydney en 2000, les Bleus ont buté sur la montagne américaine et son pic sommital, Kevin Durant, magistral. Sans démériter et avec de l’appétit pour Paris, dans trois ans. «On savait qu’on avait une montagne devant nous», expire Nando De Colo. Au final, «ça se joue à des détails». Des détails qui font cinq points et transforment l’argent en or.

Une douche et un café plus tard et les basketteuses entrent à leur tour sur le parquet de la Super Arena de Saitama. Oubliée la déception de la veille face à la nation hôte, dès l’entame du match, il est clair qu’elles n’ont aucune envie de revivre leur fin de tournoi à Rio il y a cinq ans, quand elles avaient échoué au pied du podium, déjà battues par les Serbes, ni des récents championnats d’Europe, où elles avaient été battues en finale, toujours par les mêmes adversaires. Victoire 91-76, médaille de bronze au cou. «C’était un été super long et on avait vraiment à cœur de le finir de la meilleure des façons. C’est vrai qu’on a échoué hier mais aujourd’hui on voulait vraiment, mais vraiment, mais vraiment pas perdre», déclare après coup la capitaine des Bleues, Endy Miyem.

En début d’après-midi, l’affolement gagne. Handballeurs et volleyeurs jouent en simultané sur le parquet du Yoyogi Stadium et à l’Ariake Arena. A 15h30 heure française, les handballeurs français arrivent au sommet de l’Olympe. A 16h45, les volleyeurs les rejoignent. Pour les premiers, cela ressemble à une habitude (champions olympiques en 2008 et en 2012, médaillés d’argent en 2016) dont il faut mesurer ce que cette régularité signifie. Les seconds écrivent eux une page d’histoire, une histoire de survivants aussi au terme d’un tournoi bien mal embarqué, d’une finale en montagnes bleues et russes et d’une aventure qui aurait pu tourner court avant même de commencer. «C’est un beau conte de fées», résume sur France Télévisions Laurent Tillie, qui coachait samedi son dernier match à l’issue d’un mandat de neuf ans à la tête de la sélection française.

Dimanche, dernier jour des Jeux, dernière médaille d’or : les «Battantes» du handball s’offrent la Russie et le titre, le seul qui manquait à leur palmarès. La défense a une nouvelle fois été la clef de cette victoire, avec l’entrée spectaculaire de Cléopâtre Darleux dans les cages en seconde mi-temps. «On a dit qu’on allait fermer la boutique, et on l’a fermée […] Je pense que cette finale, les gens l’ont vécue quand même assez sereinement, ça change de d’habitude», résume Allison Pineau.

En ajoutant l’argent des filles du rugby à VII et la place en demi-finale des basketteuses du 3x3, directement transplantées du basket de rue à l’univers olympique, on dresse le portrait d’une réussite éclatante du sport collectif tricolore. Seuls les footballeurs, qui retrouvaient les Jeux pour la première fois depuis 1996, se sont ratés, sortis dès la phase de poules. Le sélectionneur, Sylvain Ripoll, avait eu un mal de chien à constituer sa liste, victime du refus de clubs pros à libérer des joueurs pour un événement qui n’est pas sanctuarisé par la FIFA.

Quand la pression met en jeu la santé mentale des athlètes

L’image a marqué, le feuilleton a duré. Le 27 juillet, Simone Biles se retire en plein concours général par équipe. La gymnaste multimédaillée est une des stars de ces Jeux. Mais elle n’en peut plus. «Perte de figure», c’est-à-dire difficulté à se repérer dans l’espace. Celle qui a été la victime, comme d’autres, des abus sexuels de Larry Nassar, médecin de l’équipe américaine de gymnastique, s’était fait le porte-parole des gymnastes abusées par le prédateur. A Tokyo, rattrapée par ses démons intérieurs, elle libère une autre parole, celle d’athlètes soumis à des pressions terribles, à une obligation de résultats qui mange l’énergie et obsède, jusqu’à mettre en danger leur santé psychique ou physique. Le 3 août, elle est de retour en pleine lumière. A la poutre. Sa médaille de bronze vaut peut-être de l’or. «Nous sommes humains, nous ne sommes pas juste des attractions», dit-elle, comme une évidence toujours bonne à rappeler.

Est-ce l’effet de la pandémie, du bouleversement de leurs calendriers : d’autres athlètes de tout premier plan ont affiché leurs difficultés mentales. La tenniswoman Naomi Osaka, qui a allumé la vasque olympique le 23 juillet, s’en était ouverte dès le tournoi de Roland-Garros. A Tokyo, elle a disparu dès les huitièmes de finale. Novak Djokovic lui a craqué. Lui qu’on voyait déjà égaler Steffi Graf en bouclant un Grand chelem doré (les quatre tournois majeurs + l’or olympique) a fini chocolat dans le tournoi individuel et n’a même pas disputé son dernier match de double mixte. Et le numéro un mondial serbe d’évoquer son «épuisement, mental et physique».

Les Bleus dans les Jeux

Le tableau des médailles ne bougera plus. La délégation française apparaît à la 8e place d’un classement dominé par les Etats-Unis et la Chine. Avec dix médailles d’or et 33 au total, les Bleus font moins bien qu’à Rio en 2016 (42 médailles dont dix en or, 7e au tableau) ou Londres en 2012 (23 médailles dont onze en or, 7e). Et, selon que l’on ne retient que le métal le plus précieux ou une vue d’ensemble, à peu près dans les eaux de Pékin 2008 (41 médailles dont sept en or seulement, 10e). Avant les Jeux, Claude Onesta, chargé de la haute performance à l’Agence nationale du sport, misait sur une moisson «à peu près équivalente» à la récolte de Rio. Mais il prévenait aussitôt : les conditions exceptionnelles liées à la pandémie, notamment le peu d’épreuves de préparation, compliquaient l’exercice toujours hasardeux des projections.

La première médaille est en bronze. Le judoka Luka Mkheidze est allé la chercher sur le tatami du Nippon Budokan dès le samedi 24 juillet. Le lendemain, l’épéiste Romain Cannone surgit d’un quasi-anonymat pour offrir à la France sa première médaille d’or.

Dans le détail, derrière la machine des sports co, l’athlétisme (une seule médaille – en argent pour Kevin Mayer – contre six à Rio) déçoit et à trois ans des Jeux de Paris observe l’avenir avec crainte. Yohann Diniz quitte le navire. Renaud Lavillenie et Mélina Robert-Michon ressentent le poids des ans. Derrière, la relève peine à se montrer. Le cyclisme sur route (zéro pointé) et la boxe (zéro contre six à Rio) ne rassurent pas.

En revanche, le judo (huit médailles contre cinq) et l’escrime (cinq contre trois) confirment leur statut de pourvoyeurs en chef de breloques. Une des images marquantes ? La joie de l’équipe mixte de judo. Le 31 juillet, au lendemain de la déception Teddy Riner, les judokas bleus, emmenés par l’ogre aux dix titres de champions du monde et par Clarisse Agbégnénou, fraîchement titrée en individuel, battent avec autorité les Japonais dans leur salle quasi sacrée du Nippon Budokan. «On bat le Japon chez eux, là, je pense qu’ils ne vont pas s’en relever et nous on va être les plus heureux, on va profiter, c’est magique», exulte la porte-drapeau de la délégation française.

Larmes de joie d’une part, larmes de tristesse de l’autre – c’est le lot commun des sportifs – comme pour Samir Aït Saïd. Le gymnaste a une fois de plus été lâché par son corps. Une fois de plus, il annonce qu’il se relèvera et donne rendez-vous dans trois ans à Paris.

Chamboule-tout au stade olympique

La scène a pu sembler irréelle. Une bonne blague. Vendredi, le responsable de la sono du stade olympique de Tokyo a lancé un vieux tube en italien à la fin de la session du soir des épreuves d’athlétisme. «Une Estate Italiana», la chanson officielle du Mondial de football 1990 en Italie. Une mauvaise manip ? Même pas. Au même moment, sur la piste, quatre sprinteurs italiens n’en finissaient plus de se congratuler avec des mines d’ahuris. Ils venaient de rafler le titre olympique du 4x100 m.

L’Italie, médaillée d’or du relais ? Même en pleine pandémie, le résultat paraît sorti tout droit d’une comédie burlesque. Il est pourtant bien réel. Tout comme la présence de ces diables d’Italiens à la deuxième place du classement des médailles en athlétisme, juste derrière les Etats-Unis. Sept titres pour les Américains, cinq pour les Italiens. A peine croyable. La percée des Italiens n’est pourtant pas la seule surprise des Jeux de Tokyo au stade olympique. L’athlétisme a pris un plaisir facétieux à brouiller les cartes et redistribuer les rôles. Les prévisions d’avant-Jeux en ont pris pour leur grade. Mais personne ne s’est ennuyé devant le spectacle.

Les chronos et les marques s’affolent. Au 100 m féminin, la Jamaïcaine Elaine Thompson-Herah s’offre le record olympique (10″60) et signe la deuxième performance de tous les temps. Au triple saut, la Vénézuélienne Yulimar Rojas a ajouté 17 cm à la meilleure marque mondiale (15,67 m). Puis la magie s’opère au 400 m haies, à coup sûr, l’épreuve de ces Jeux olympiques. Dans les deux finales, le record du monde est décapité par les médaillés d’or et d’argent : Karsten Warholm (45′'94) et Rai Benjamin (46′'17) chez les hommes, Sydney McLaughlin (51′'46) et Dalilah Muhammad (51′'58) chez les femmes.

Les ados olympiques

Ce 26 juillet, sur le premier podium féminin de skateboard, qui fait son entrée dans le programme olympique, la moyenne d’âge des trois médaillées est de quatorze ans. Sur la plus haute marche, la Japonaise Momiji Nishiya a 13 ans. Elle est devenue la première championne olympique de l’histoire de son sport, dans la catégorie street dames. Le 4 août, en catégorie park, la Japonaise Kokona Hiraki, 12 ans, 11 mois et 9 jours et la Britannique Sky Brown, tout juste 13 ans, encadrent la médaillée d’or, la Japonaise Sakura Yosozumi, 19 ans et presque un statut de vétéran.

Le record de précocité olympique reste la propriété posthume de la nageuse américaine Marjorie Gestring, championne olympique de plongeon en 1936 à Berlin, titrée à 13 ans et 268 jours. Mais la jeunesse de ces médaillées interpelle. «A 9 ou 10 ans, un enfant a envie de skater. Les compétitions, c’est le projet de ses proches, relève Alain Nègre, responsable de la performance au sein de la Fédération française de roller et skateboard. Jusqu’à quel point peut-on pousser ces jeunes enfants jusqu’au plus haut niveau ? Comment préserver leur intégrité ?»

Par-delà le sport

Son passage aux JO de Tokyo l’a placée sous les feux des projecteurs. Mais pas pour les raisons sportives qu’elle pouvait espérer. Krystsina Tsimanouskaya, athlète bélarusse de 24 ans, a refusé de rentrer dans son pays par crainte pour sa sécurité. Après une escale à Vienne, sous les yeux des nombreux journalistes qui la suivent, elle est arrivée en Pologne, qui lui a accordé un visa humanitaire. L’affaire intervient presque un an jour pour jour après la réélection autoproclamée d’Alexandre Loukachenko à la présidence du Belarus, qu’il dirige d’une main de fer depuis 1994.

Chroniques & journaux

Dans la bulle olympique. Notre envoyé spécial à Tokyo a quotidiennement raconté l’aventure dans l’aventure. Au vingt-deuxième jour de son séjour au Japon, entamé par une attente de neuf heures à l‘aéroport de Narita le 17 juillet, il se demande s’il pourra un jour quitter l’archipel, la faute aux avions retardés et aux tests PCR qui se téléchargent pas.

Les Jeux selon Earvin. Désigné, Earvin Ngapeth, le réceptionneur-attaquant de l’équipe de France de volley-ball a ouvert pour Libé son journal de bord pendant les Jeux olympiques. «Gagner l’or, devenir champion olympique, c’est le pied, frérot. Y a rien au-dessus. On n’a pas vraiment dormi, on va célébrer comme des Golgoths», confie-t-il dans son dernier chapitre. Les épisodes précédents sont ici.

Tokyo au temps des Jeux. La correspondante de Libération au Japon, longtemps sceptique sur la possibilité même que les JO aient lieu, s’interroge toujours.