Mercredi 4 septembre, en milieu de matinée, au bord de la route à Clichy-sous-Bois, on se tournait un peu les pouces en attendant le passage des coureurs. Pour passer le temps, un employé du Comité paralympique et sportif français nous avait proposé de jouer à son jeu préféré du moment : trouver le nombre exact de médailles d’or de la Chine. Une sorte de juste prix version paralympique. «Attention, il faut donner rapidement une réponse, car peut-être que dans une minute ils en auront trois ou quatre de plus», ironisait-il. A l’époque, les Chinois ne comptaient «que» 59 titres. Ce dimanche soir, ils repartiront de Paris avec 94 médailles d’or. Soit plus que la Grande-Bretagne (49) et que les Etats-Unis (36) réunis, pourtant deuxième et troisième nations au classement des médailles, et loin devant les 19 titres français.
Cette domination monstrueuse et sans partage n’est pas nouvelle. Depuis Athènes en 2004, la Chine a toujours écrasé la concurrence aux Jeux paralympiques. Certes, elle joue aussi les premiers rôles aux JO, mais pas avec autant de marge sur ses concurrents. Dans tous les sports ou presque, ses représentants ramènent des médailles. A Paris, un Chinois est monté sur la boîte dans 19 des 22 disciplines paralympiques, avec des razzias en athlétisme (59 médailles dont 21 en or), en natation (54 médailles dont 22 en or), en tennis de table (24 médailles dont 11 en or) ou encore en escrime (19 médailles dont 10 en or). Il y a quelques jours, dans les gradins de la Défense Arena, un confrère ironisait : «La natation, c’est un peu chiant. On entend plus l’hymne chinois qu’on ne voit les nageurs dans l’eau.»
Des slogans qui intiment de se dépasser pour sa nation
Il n’en a pourtant pas été toujours ainsi. Dans les années 90, la Chine n’était qu’une natation paralympique comme une autre. En 1992, à Barcelone, elle ne termine que treizième (avec 11 médailles d’or), avant de faire à peine mieux en 1996 à Atlanta (neuvième avec 16 titres). Et puis, Pékin s’est mis à rêver d’organiser les Jeux, olympiques comme paralympiques. Le pays obtient gain de cause en 2001 et a sept ans pour se préparer à accueillir, à l’été 2008, le gratin du sport mondial. Dès lors, avoir les meilleurs athlètes du monde devient une nécessité, un enjeu de soft power. Il serait inconcevable aux yeux des dirigeants que les Chinois ne brillent pas à domicile, sous le regard des médias du monde entier. Alors, l’Etat met le paquet pour trouver des athlètes, les entraîner et les faire performer.
En 2007, un an avant les Jeux à domicile donc, un immense centre sportif sort de terre dans le nord de Pékin. Une sorte d’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) à la chinoise, mais uniquement destiné au para-sport. Il s’étend sur 23 hectares, explique le Monde qui a pu le visiter récemment, ce qui en fait, de loin, «le plus grand centre de préparation pour sportifs en situation de handicap de haut niveau au monde». On y voit le drapeau rouge aux étoiles jaunes partout, et sur les murs des slogans qui intiment aux athlètes de se dépasser pour leur nation.
Le centre d’entraînement ne marche pas seul. Un peu partout dans le pays, d’autres structures, plus petites, voient passer des athlètes en situation de handicap à la pelle et sont chargées de détecter les médaillables. Le vivier du pays le plus peuplé du monde est riche : on estime qu’il y a environ 85 millions de Chinois en situation de handicap. «On invite des personnes qui aspirent à pratiquer, on les détecte et la machine chinoise est en route, explique dans l’Equipe l’enseignant-chercheur Arnaud Waquet, spécialisé en sciences sociales du sport. On sélectionne une grande cohorte de 1000 personnes, on la réduit rapidement à 100, 50 puis 10 personnes qu’on va surentraîner. C’est la sélection pyramidale.»
«Usine industrielle d’athlètes de haut niveau»
La Chine cultive aussi le mystère autour de ses athlètes paralympiques : la plupart ne sortent que très rarement du territoire, ne disputent que les compétitions obligatoires pour se qualifier pour les Jeux et ne répondent pas aux sollicitations des journalistes internationaux. Tant et si bien qu’il arrive souvent qu’on découvre un Chinois sorti de nulle part ou presque et qui explose la concurrence lors d’une paralympiade. L’escrimeur Maxime Valet, battu à Paris par des Chinois dès son entrée en lice en fleuret et en sabre, s’en est plaint : «Comme la Fédération internationale ne les oblige pas à faire les compétitions, ils sont mal classés. Mais ils sont tellement supérieurs qu’ils s’en fichent.»
Si les autres nations investissent aussi dans le parasport, aucune n’a poussé le système aussi loin que la Chine. Et il devrait en être ainsi pour quelques années encore. «A moins qu’un pays ne soit prêt à reproduire ce type d’usine industrielle d’athlètes de haut niveau et à investir des ressources à ce niveau et au-delà – ou que la Chine décide qu’elle ne souhaite plus le faire –, elle continuera à dominer pendant de nombreuses décennies à venir», dit à CNN le chercheur britannique Ian Brittain, spécialisé dans le sport paralympique.
Pour autant, Pékin est loin d’être irréprochable en matière d’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société. En 2013, un rapport de Human Rights Watch parlait d’un système éducatif qui les rejette massivement. Conséquence : 28 % des enfants en situation de handicap n’avaient pas accès à l’éducation et plus de 40 % des adultes étaient illettrés. Des taux largement supérieurs aux moyennes nationales. «Une partie de la population est complètement déconsidérée. Dans les écoles, les personnes en situation de handicap sont mises de côté. Ils n’ont pas accès à l’éducation et aux emplois, ou très peu. On les cache. Ils ne sont pas du tout dans une mécanique d’inclusion», dit, toujours dans l’Equipe, Arnaud Waquet. Ces dernières années, de nouvelles lois sont passées pour combattre ces discriminations. Mais la Chine part de loin.