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Oh, la guigne, on s’est dit. Ce samedi matin, la pluie a commencé pile à l’arrivée de la navette qui fait la liaison entre la gare de Versailles Chantiers et le site des compétitions équestres des Jeux paralympiques érigé, comme les olympiques, dans le parc du château. Mais comment allaient faire les cavaliers et les chevaux, si la piste se détrempait, devenait lourde ? L’épreuve, l’ultime du paradressage, seule discipline équestre qui figure aux Jeux, n’allait-elle pas être annulée ?
Ces interrogations parlent d’elles-mêmes : on ne connaît rien ou presque à l’équitation, para ou pas. Aimer regarder à la télévision les compétitions internationales ne suffit évidemment pas à pouvoir évaluer les performances. Pas, trot, galop, diagonales, cercle, c’est à peu près tout ce qu’on reconnaît. Avec cette certitude : ce sport est l’un des plus esthétiques qui soient, le couple animal magnifique-cavalier endimanché jusqu’aux mains gantées est d’un chic insubmersible.
Bâche de fortune
Emily, une jeune femme britannique et cavalière du public, nous rassure vite : «La pluie n’est, en soi, pas un problème, l’équitation est un sport de plein air. Sauf si la piste devient trop humide et dangereuse, surtout pour les chevaux qui pourraient se blesser aux pattes, et tout le monde sait combien elles sont fragiles. Parfois, on est amené à fermer certains endroits de l’aire de compétition. Mais ça n’arrive qu’en cas de grosse pluie, ce qui n’est pas le cas, là.» Qui remettrait en cause l’expertise anglaise en matière de précipitations ? Le crachin oblige en tout cas notre voisin de tribune de presse, photographe, à faire de son imperméable une bâche de fortune, pour abriter son énorme téléobjectif et l’ordinateur duquel il envoie ses images. On échange un regard qui nous dit qu’il a l’air au bout du rouleau. Simultanément, notre carnet de notes tombe dans une flaque.
Le speaker tâche d’ensoleiller tout ça : «Couvrez-vous, le parapluie est aujourd’hui votre meilleur allié !» Le public s’est manifestement renseigné et équipé. Bottes et imperméables sont aussi de sortie. Il a une consigne à respecter : ne pas crier ni applaudir mais agiter les mains, pour éviter de perturber les cavaliers et chevaux qui sont habitués à évoluer dans le calme. Elle sera peu ou prou respectée, grâce à de fréquents rappels au silence.
Cavalier et DJ
Ce samedi est dédié à l’épreuve libre, qui consiste en des «reprises» (passages) sur des musiques. On assiste à celles qui commencent à midi. Le classique domine et confirme le côté aristocratique de la discipline. Du coup, mention à la jeune Italienne Carola Semperboni qui a le même âge que son cheval Paul, 19 ans, et qui nous gratifie d’un medley d’irrésistible pop italienne (Sarà perché ti amo de Ricchi e Poveri, Gloria d’Umberto Tozzi). Le public résiste péniblement à s’ambiancer. Carola et Paul concourent en grade I, catégorie dévolue aux cavaliers porteurs des handicaps les plus sévères, telle l’infirmité motrice cérébrale, et qui œuvrent seulement au pas. C’est le Letton Richard Snikus, 36 ans, qui l’emporte, soit son troisième titre olympique - il est aussi champion du monde. Une décision qui nous va complètement. Sur un air latino, lui et King of dance semblent effectivement danser, dans les pas comme dans leurs corps respectifs. Il faut dire que Snikus est aussi DJ professionnel.
A 13h, le soleil opère une percée dans la grisaille. Place au grade II, partie de la compétition où les reprises se font au pas et au trot. On a un coup de cœur pour le Japonais Sho Inaba, 29 ans, qui monte Huzette : on trouve le couple comme droit sorti d’un film, léger comme la plume, incroyablement élégant même s’il évolue sur My Heart Will Go On (la scie de Titanic). Le jury en décide autrement : il ne monte pas sur la boîte - l’or revient à l’Américaine Fiona Howard.
«Parfaite connexion»
Mais on était surtout venue pour le grade III, où concourait la Française Chiara Zenati, 21 ans. Cette catégorie réunit des cavaliers présentant un handicap moteur important au niveau de l’équilibre du tronc, ou un handicap unilatéral majeur. Leurs reprises se font au pas et au trot, et le galop est toléré en libre. Pour Chiara Zenati, il s’agit d’une hémiplégie droite qu’elle a depuis la naissance : elle tient les rênes de la seule main gauche mais Swing Royal, 18 ans, semble obéir au doigt et à l’œil à la brindille brune. Ils évoluent sur Valentino Suite, leur reprise est complètement dans le rythme, fluide et précise. Sur ce coup-là, le public ne peut s’empêcher d’applaudir ni de crier. Las, la paire finira quatrième.
Entre-temps, c’est une Chiara Zenati toute remuée qui se présente aux journalistes. D’abord parce qu’elle pressent que le podium ne sera pas possible alors qu’elle rêvait d’une médaille à Paris, mais aussi parce que cette reprise était la dernière apparition en compétition de Swing Royal, qui va prendre sa retraite. «On a été en parfaite connexion sur celle-là, c’était fantastique», alors que cela semble parfois plus coton «Il peut être un peu têtu, moi aussi, ça n’aide pas trop…», dit-elle, ajoutant qu’il est toujours heureux d’entrer en piste. Là, Chiara Zenati prévoit des vacances, souligne que les chevaux en ont également besoin, «ils viennent de passer trois semaines de travail intense, eux aussi sont des athlètes». C’est de nouveau une Américaine, Rebecca Hart, qui gagne l’or en grade III.