Fatalement, les paranageurs – dont la compétition débute jeudi 29 août – ont systématiquement droit à la question : «Vous avez vu Léon Marchand aux JO ? Comment s’en inspirer ?» Responsable de la performance à la Fédération française de handisport, Guillaume Domingo livre la réponse veloutée qui s’impose, lors d’une conférence de presse donnée en amont des Jeux paralympiques : «C’est sûr que la natation valide et Léon Marchand ont donné un élan mais nos nageurs étaient déjà très motivés.» Ils sont quatorze sélectionnés en paranatation, sept hommes et sept femmes : Dimitri Granjux (S4), David Smétanine (S4), Laurent Chardard (S6), Hector Denayer (S9), Ugo Didier (S9), Kylian Portal (S12), Alex Portal (S13). Et côté femmes : Solène Sache (S5), Agathe Pauli (S9), Elodie Lorandi (S10), Emeline Pierre (S10), Anaëlle Roulet (S10), Léane Morceau (S12), et Assya Maurin-Espiau (S14). Rappelons que la catégorie de paranatation «S» renvoie à swimming («natation»), et que les chiffres 1 à 10 correspondent à autant de catégories de handicaps physiques, 11, 12 et 13 aux catégories de handicaps visuels, 14 à la déficience intellectuelle.
Autre question que se cognent forcément les coachs lors de ce type de raout : «Vous visez combien de médailles ?» Domingo, pragmatique : «Décrocher une dizaine de médailles est raisonnablement envisageable mais la concurrence est sévère et les Jeux paralympiques restent une compétition particulière.» Trois noms reviennent dans les pronostics, notamment pour l’or : Ugo Didier, Alex Portal et Laurent Chardard. Les deux premiers ont en partage des airs de Harry Potter et leur âge (22 ans). Ugo Didier, né avec les pieds bots et les membres inférieurs atrophiés, est un spécialiste du dos. Deux fois médaillé aux Jeux paralympiques de Tokyo en 2021, trois fois en or et une fois en argent aux championnats d’Europe en avril, le Toulousain a du pain sur le plot : il pourrait enquiller six épreuves, entre dos et nage libre. Alex Portal est handicapé comme son frère également sélectionné, Kylian, par l’albinisme oculaire, une maladie génétique qui aveugle. Il guigne, lui, quatre titres, sur 50 m nage libre et 100 m papillon, mais aussi sur 400 m nage libre, et 200 m quatre nages, distances sur lesquelles il est devenu champion du monde en 2023. S’il réussit, le nageur de Saint-Germain-en-Laye fera mieux qu’à Tokyo d’où il était revenu avec de l’argent et du bronze. Le nageur de Pessac (Gironde) Laurent Chardard, 28 ans, qui a perdu la jambe et le bras droits dans une attaque de requin à la Réunion, devrait pour sa part briller en papillon où il a déjà décroché l’or européen et mondial.
Allègre débutante
«C’est une équipe qui va de 17 ans à très expérimenté, pointe le manager Domingo. Plus de 50 % participent à leurs premiers Jeux paralympiques.» Forcément, les uns et les autres ne vivent pas l’événement de la même façon. On a sondé Assya Maurin-Espiau et David Smetanine, les points de départ et d’arrivée de cet arc générationnel.
La première pourrait se sentir écrasée par l’enjeu. Assya Maurin-Espiau, qu’on croise au centre de ressources d’expertise et de performance sportive (Creps) de Vichy en amont des jeux, à l’occasion d’une journée ouverte au public et à la presse, est une primo-paralympienne allègre. L’adolescente, 17 ans, concourt sur 100 mètres brasse, dos et 200 mètres nage libre et quatre nages, et dit se sentir «bien, pas du tout stressée». «J’ai hâte d’y être ! Mon objectif est avant tout de prendre du plaisir, et pourquoi pas faire un podium ? Ce n’est pas impossible», s’enthousiasme l’athlète qui appartient à la catégorie S14 (déficience intellectuelle). Originaire des Landes et sur le point d’intégrer les Girondins de Bordeaux, elle loue «une passion» née du plaisir de gagner : «J’ai été dans l’eau très jeune, mais mon frère jumeau allait toujours plus vite que moi. Donc j’ai beaucoup nagé, pour le rattraper et le battre. Et là j’ai commencé à aimer nager.» Son handicap est dit sans détour : «J’ai juste un peu moins de 75 de QI, à l’école j’avais de grosses difficultés, j’ai une mémoire très courte.» Elle acte le phénomène Marchand avec l’acuité du spécialiste : «Il était bien dans sa tête, bien dans son corps, il était prêt et on s’y attendait. Parfait ! Mais ce qu’a fait Florent [Manaudou, ndlr] a aussi été génial, cette nouvelle médaille, et les relais étaient fous.»
Ogre ému
Il pourrait afficher la placidité du pilier de la paranatation qu’il est. David Smétanine, 49 ans, s’avère frémissant, ému par ses sixièmes jeux qui devraient marquer la fin de sa carrière à haut niveau. Il dit : «J’ai besoin de boucler la boucle ici, à la maison.» L’idée est de le faire en beauté, avec une médaille, mais «la sélection n’a jamais été si difficile». Grenoblois, il a rejoint le Cercle des nageurs d’Antibes pour optimiser ses chances, alors qu’il croule déjà sous les breloques, décrochées en nage libre. Neuf paralympiques dont deux d’or, pléthore de titres européens et mondiaux, 157 nationaux, du jamais-vu dans le sport français… Avec une nouvelle médaille paralympique, Smétanine établirait un record hexagonal.
L’ogre de victoires fait partie des parathlètes qui souhaitent une égalité de traitement avec les valides par rapport à la performance. «On a beaucoup parlé de nos histoires de vie, mais nous sommes avant tout des sportifs, donc oui, les médias ont le droit d’évaluer voire de critiquer nos résultats», estime le nageur. Smétanine a toujours été sportif, était maître nageur-sauveteur quand un accident de voiture l’a rendu tétraplégique partiel, à 21 ans. Il a renoué avec les bassins au cours de sa rééducation, a alors décidé d’atteindre le haut niveau. Bref, une torpille que rien ne fait dévier de sa ligne. Et en même temps Shiva. En dehors des bassins, Smétanine est consultant en management de sociétés et très actif dans les instances : représentant des athlètes au Comité paralympique international, membre du comité des athlètes de l’Agence française de lutte contre le dopage, de la commission des athlètes du Comité national olympique et sportif français, du Comité paralympique et sportif français, et de la commission des athlètes de Paris 2024. Il souligne : «Beaucoup d’enfants vont assister à ces Jeux paralympiques et c’est très important pour la transmission, pour après.» De ce côté-là, il compte rester dans la course.
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