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Jeux paralympiques 2024 : les frères Portal, liés jusque dans l’eau

Médailles d’argent et de bronze sur le 400 m nage libre derrière le légendaire Biélorusse Ihar Boki, la fratrie de Saint-Germain-en-Laye a de nouveau prouvé sa complicité.
Alex et Kylian Portal ce samedi 31 aoît à la Defense Arena de Nanterre. (Andrew Couldridge/Reuters)
publié le 31 août 2024 à 21h35

Ils ont remis ça, mais pas complètement. Ce samedi sur le coup de 19 h 30, dans une Paris La Défense Arena chauffée à blanc par leur 400 m nage libre commun, Alex et Kylian Portal sont montés ensemble sur le podium comme ils l’avaient fait lors des championnats du monde de Manchester en 2023. A ce détail près : si Kylian, 17 ans, s’est de nouveau paré de bronze, l’aîné Alex, 22 ans, a décroché l’argent au lieu de l’or, chopé par Ihar Boki. L’admirable et surmédaillé métronome biélorusse, qui concourt sous bannière neutre comme les 88 Russes et Biélorusses en lice dans ces Paralympiques pour cause d’invasion de l’Ukraine (1), empoche là sa troisième médaille en trois jours et le dix-neuvième titre paralympique de sa carrière vertigineuse. Ça donne de la visibilité au sigle «AIN» (pour «athlète individuel neutre») qui orne le drapeau blanc qui accompagne les podiums de ces vainqueurs, et c’est l’occasion de réentendre l’hymne paralympique.

«J’ai vu une ombre devant»

Une opportunité dont se serait bien passé Alex Portal, qui n’a pas caché son énorme désillusion, en larmes alors que la foule acclamait les deux frères. Il en a zappé le traditionnel point presse post-course. Kylian, non, qui confirmait que son aîné chercheur d’or aurait besoin d’un peu de temps pour digérer le dernier 100 mètres que Boki lui a mis dans la vue alors qu’il était en tête jusqu’aux 250 mètres. «Mais il doit être fier de lui, il fait trois médailles en trois jours [après l’argent sur le 100 m papillon et le bronze sur le 100 m dos] ! Moi je suis hyperfier de lui !» Concernant sa propre course, celui que Guillaume Domingo, manager de la performance de la paranatation pour la Fédération française handisport, décrit comme de «feu», décryptait dans un immense (et fréquent) sourire : «J’ai vu une ombre devant, je me suis dit que je pouvais remonter et j’ai fait le 50 mètres de ma vie !». Sur quoi on l’a aperçu enlacer son frère pour le consoler.

Mais si Alex Portal a ensuite tâché de faire bonne figure, sur le podium puis face aux médias, sa mine restait malheureuse, à donner envie de lui faire un câlin. «Je venais pour autre chose… J’aurais tellement aimé pouvoir nous faire une Marseillaise en plus, on l’aurait eue à deux, mais bon, c’est ça le sport, c’est comme ça…» ; J’ai pas fait ce qu’il fallait… Je me suis laissé embarquer par le rythme de Boki de temps en temps… Je pense que j’aurais dû tuer la course un peu plus tôt» ; «Mais bon, trois médailles en trois courses, je ne vais pas m’en plaindre…». Sachant qu’il lui reste encore le 200 m nage libre, mardi… où il retrouvera Boki, son chat noir.

Prendre sous son aile

Tout de même, Alex Portal n’a pas oublié de saluer Kylian, «ce qu’il a fait est énorme, et il le mérite amplement». De fait, ces deux Portal, c’est jamais sans mon frère. Se retrouver concurrents dans la même épreuve ? Ils connaissent bien le cas de figure, ils l’apprécient, le souhaitent, voire le favorisent. Lors des séries de ce 400, les frangins nageaient côte à côte, en lignes 4 et 5, Alex s’est rapproché de celle de Kylian pour qu’il profite du phénomène d’aspiration. Prendre sous son aile, jusque dans l’eau : ce geste quasiment romanesque atteste une attention à l’autre passablement émouvante. Le cliché d’Abel et Caïn peut aller se rhabiller, dans cette fratrie-là, aucun ne cherche à couler l’autre.

Le même handicap les lie, l’albinisme oculaire, une maladie génétique qui les empêche de voir net au-delà d’un mètre et qui rend leurs rétines ultrasensibles à la lumière. La niaque compétitrice aussi, à l’évidence. Elle a été favorisée par un biotope familial sportif sur plusieurs générations - leur mère Virginie participe d’ailleurs à ces Paralympiques, dans la catégorie «starter» (chargée de donner le départ) des épreuves féminines.

Mais ces points communs pourraient exister sans plus d’affinités, d’ailleurs le «lui, c’est lui, moi c’est moi» serait recevable, tout le monde n’est pas apte au familialisme fusionnel. Au lieu de quoi les frères de Saint-Germain-en-Laye semblent se nourrir de la présence l’un de l’autre, revendiquent leur complicité, en jouent, ce samedi soir en arrivant coiffés du même bob rouge. Evidemment, on pense aux frères pongistes Alexis et Félix Lebrun, qui ont ému et électrisé l’Hexagone pendant Jeux Olympiques. Travail, famille, fratrie, nouveau slogan du «feel good» français ?

(1) La Russie et la Biélorussie, son alliée, ont été interdites de Jeux olympiques et paralympiques consécutivement à l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Les athlètes ont été autorisés à participer aux compétitions (mais pas aux cérémonies) sous certaines conditions, après enquête prouvant qu’ils n’ont pas apporté de soutien actif à la guerre en Ukraine.

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