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Récit

Jeux paralympiques 2024 : pour le taekwondoïste français Bopha Kong, l’espoir mis au tapis

Le combattant de 43 ans à l’immense palmarès a échoué ce jeudi 29 août à aller chercher la seule médaille qui lui manquait encore. Entravé par une blessure au genou, l’athlète est sorti bouleversé de la compétition.
Bopha Kong avant son combat en quart de finale de taekwondo des Jeux paralympiques, au Grand Palais de Paris, le 29 août 2024. (Florence Brochoire/Libération)
publié le 29 août 2024 à 19h16

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Quand on l’avait rencontré il y a quelques jours, les fesses vissées dans un canapé du club France, Bopha Kong s’était projeté. Il nous avait parlé des larmes de joie qui couleraient à coup sûr sur ses joues s’il repartait de Paris médaillé. Ce jeudi 29 août, on l’a recroisé dans les couloirs du Grand Palais, inconsolable, les yeux inondés de larmes, de tristesse. Le Français de 43 ans venait de se prendre une rouste mémorable (22-1) en quarts de finale des moins de 58 kg, le tout devant 8 000 supporteurs qui, pourtant, l’ont poussé du début à la fin de son combat, jusqu’à en faire trembler les gradins éphémères. Lui qui est d’ordinaire si souriant est passé devant les journalistes comme un prisonnier que l’on conduirait à l’échafaud : la tête baissée, sans un regard ou un mot pour personne.

La médaille, de bronze, restait malgré tout possible – il fallait gagner ses deux combats de repêchage pour se l’assurer. Mais la démarche chancelante et la mine déconfite de Bopha Kong nous disaient que c’était déjà fini. Patrick Rosso, le Directeur technique national de la fédération française de taekwondo, a évoqué pour Libération cette méforme soudaine que le principal intéressé avait pris soin de taire avant la compétition : «Bopha s’est fait il y a un mois une rupture partielle du ligament latéral interne du genou droit. On savait qu’il n’était pas dans les meilleures conditions possibles, mais là j’ai vu dès les premières secondes qu’il ne pouvait pas se servir de sa jambe droite.» Autant dire que quand on est, comme lui, double amputé des avant-bras et qu’on a une jambe inutilisable dans un sport où les points se marquent par des coups de pied dans le torse de l’adversaire, l’affaire devient impossible.

Trop bon trop tôt

Le supplice de Bopha Kong a pris fin trois heures plus tard sur une nouvelle franche défaite (21-3). Et ainsi volaient en éclat ses espoirs de médaille paralympique. La seule qui manquait au palmarès de celui qui a tout gagné en deux décennies passées sur les tapis (quatre championnats du monde, trois championnats d’Europe). «Franchement, on peut me prendre mes quatre titres de champions du monde sans problème si, en échange, je gagne une médaille paralympique, disait-il en début de semaine. Les Jeux, c’est une autre dimension, c’est plus grand que tout ce que j’ai connu. Ce serait le plus bel accomplissement, la plus belle des récompenses.»

Bopha Kong pourra nourrir le regret d’avoir été trop bon trop tôt. Titré mondialement pour la première fois en 2009, pour les premiers Mondiaux de la discipline, le Français aura dû attendre 2021 pour voir le parataekwondo faire son entrée aux Jeux paralympiques. Et encore : le Comité paralympique international n’a fait qu’une petite place à l’art martial coréen, décidant d’une catégorie unique quand il en existe plusieurs à l’international, en fonction du handicap. Bopha Kong, double amputé depuis qu’une bombe artisanale lui a explosé dans les mains à l’adolescence, se retrouve ainsi à combattre face à des concurrents qui ont, eux, souvent au moins un bras valide. «Au para-taekwondo, on ne peut taper que dans le plastron. Les bras, ça permet de le protéger, et donc d’éviter les touches», illustre Patrick Rosso.

Déjà «fracassé» après Tokyo

Pourtant largement désavantagé, le Français fait partie des cadors de sa catégorie. A Tokyo, après avoir raté, déjà, son entrée en lice, Bopha Kong avait échoué au pied du podium, battu en petite finale par un adversaire qui avait, un temps, été annoncé disqualifié. Il en était ressorti meurtri : «Ça a été vraiment dur de m’en relever. Je me suis vu avec cette médaille de bronze, j’ai eu un énorme sentiment d’injustice, j’étais fracassé.»

Paris devait être une revanche sur cette médaille «volée». Ce devait aussi être la compétition de la dernière chance. Bopha Kong nous avait promis de mettre un terme à sa carrière de sportif de haut niveau une fois les Jeux terminés, qu’il y ait, ou non, une médaille à la clé. Nostalgique avant même son entrée en lice, il nous avait parlé du taekwondo comme on raconte une relation d’amour : «J’y suis arrivé par hasard après mon accident. Avant, je faisais de la boxe, j’aimais les sports de combat. On m’avait dit que pour en faire il suffisait d’utiliser les jambes, ça m’allait bien. Si tu m’avais dit que j’en serais encore là, vingt-quatre ans après… Sans le taekwondo, je suis sûr que j’aurais aujourd’hui moins confiance en moi. J’aurais moins le sourire aussi. Il m’a appris à accepter mon handicap, à ne plus avoir peur. Je lui dois beaucoup.»

Au sortir de sa compétition, quand il a enfin pris le temps de répondre aux journalistes, les yeux rougis mais les larmes séchées, Bopha Kong a laissé entendre que, finalement, il signerait bien pour une paralympiade de plus. Après tout, Los Angeles, ce n’est que dans quatre ans. Et quand on aime, on ne compte pas.