Menu
Libération
Cœur de cible

Jeux paralympiques 2024 : tir avec les pieds, avec la bouche… Au para tir à l’arc, venez comme vous êtes

Sur l’esplanade des Invalides, il est possible d’observer toutes sortes de gestes et de techniques adaptées aux handicaps pour tirer à l’arc. Depuis plusieurs années, la discipline repousse les limites de l’accessibilité.
L'archère indienne Sheetal Devi, le 29 août. (Felix Scheyer/AP)
publié le 2 septembre 2024 à 7h55

Inscrivez-vous pour recevoir gratuitement notre newsletter Libélympique tous les matins pendant les Jeux paralympiques.

Bob multicolore, chapeau à plumes façon Robin des Bois, casquette floquée au nom de son pays, tous les styles de couvre-chef défilent sur le pas de tir de l’esplanade des Invalides. Les corps des archers alignés depuis jeudi 29 septembre sont tout aussi variés : grand, petit, mince, costaud, plus ou moins musclé, amputé d’un bras, d’une jambe, des deux, en fauteuil ou debout. «Comme dirait une célèbre enseigne, au para tir à l’arc, c’est un peu : “Venez comme vous êtes”, résume Vincent Hybois, le sélectionneur de l’équipe de France. N’importe quelle personne, quelle que soit la nature de son déficit, va pouvoir venir nous voir et on trouvera des solutions pour qu’elle puisse pratiquer.» Un potentiel d’inclusion rare, même pour une discipline paralympique.

Arc à poulies

L’exemple le plus probant est sans doute l’Indienne Sheetal Devi, née sans bras en raison d’une maladie congénitale rare. L’archère de 17 ans a la particularité de tirer avec ses pieds et sa bouche. Une gestuelle impressionnante avec laquelle elle enchaînait les 10 au centre de la cible, lors de l’épreuve arc à poulies «open» samedi 30 septembre, et suscitait l’étonnement du public en tribunes. Assise sur un tabouret, la numéro une mondiale tient son arc du pied droit et installe la corde entre son menton et son épaule pour décocher. «Je les estime beaucoup ces filles qui tirent avec leurs jambes. Il faut avoir de la force dans les orteils, c’est très impressionnant», souligne la Française Julie Rigault-Chupin, qui concourt dans la même catégorie, mais debout avec une prothèse à la jambe gauche. Sur le circuit international, Sheetal Devi reste pour l’instant la première et l’unique archère sans membre supérieur.

Peut-être plus pour longtemps. Si les handicaps les plus lourds étaient rares sur le pas de tir il y a quelques années, il y en a aujourd’hui de plus en plus. A Londres en 2012, l’Américain Matt Stutzman, surnommé «the armless archer» (l’archer sans bras) était le premier à tirer avec ses pieds et à remporter une médaille d’argent. A Paris, pour ses quatrièmes Jeux, ils sont désormais quatre : trois archers chez les hommes et Sheetal Devi. «A Los Angeles [JOP de 2028], nous pourrions doubler notre nombre, avec probablement huit archers sans bras. C’est ça ma médaille d’or», commentait le pionnier jeudi lors des qualifications. Dimanche soir, il a décroché l’or.

«Une multitude de techninques»

Aux Jeux paralympiques, la catégorie «open», qui inclut un grand nombre de handicaps physiques, permet cette large accessibilité. Au sein de celle-ci, deux épreuves sont proposées en fonction du type d’arme utilisé : l’arc classique, le même que celui utilisé aux JO, ou l’arc à poulies, pour les archers qui ne peuvent pas le maintenir durablement en tension comme Sheetal Devi, Julie Rigault-Chupin et Matt Stutzman. Il existe ensuite «une multitude de techniques et d’aménagements réglementés» pour s’adapter au handicap, précise Vincent Hybois.

«On est toutes dans la même catégorie, c’est un avantage et un inconvénient. Mais Devi a permis de montrer qu’on peut être numéro une mondiale avec un handicap plus lourd. La preuve que le tir à l’arc est à la portée de tout le monde», observe Julie Rigault-Chupin, éliminée en quarts de finale samedi 30 septembre.

Guillaume Toucoullet, paralysé du bras gauche, pensait que le tir à l’arc n’était pas pour lui. Jusqu’à ce qu’on lui évoque une technique hors du commun : «La première fois que j’ai essayé, on m’a proposé de tirer avec la bouche, j’ai trouvé ça incroyable de pouvoir faire un truc pareil.» A ses débuts en 2017, le Basque s’inspire d’un autre Américain : Eric Bennett. L’Arizonien a improvisé le geste dix ans auparavant pour continuer de chasser, après un accident et la perte de son bras droit. A Paris, pour ses cinquièmes Jeux depuis Pékin en 2008, ils sont désormais trois à tirer avec la bouche. Tous avec des techniques différentes en termes de placement ou de positionnement de la tête. C’est d’ailleurs avec ce geste que Guillaume Toucoullet a battu le record paralympique, en qualifications de l’arc classique open jeudi, sous les yeux de Bennett, qui le félicitait.

«Quand ça fonctionne, c’est une énorme satisfaction»

Le Français a longuement travaillé la technique pour parvenir à compenser le déficit du bras gauche par la force de la nuque. «Au début, on ne savait pas trop où il fallait mettre la languette (lanière de cuir placée sur la corde qu’il attrape avec ses dents pour tirer), rembobine Guillaume Toucoullet. J’ai pris quelques idées dans ce qui se faisait déjà et j’ai peaufiné en club. Ce n’est qu’en 2019, quand je suis arrivé en équipe de France, que j’ai vraiment progressé sur la technique de tir.» Avec Vincent Hybois, ils ont pensé chaque détail pour être prêt le 4 septembre (jour de sa compétition individuelle), jusqu’à effectuer un dernier réglage il y a un mois à peine.

«Un gros pan du métier d’entraîneur, c’est d’inventer, du matériel, des techniques pour qu’une personne en situation de handicap puisse pratiquer et s’améliorer en permanence. Quand ça fonctionne, c’est une énorme satisfaction, avant même les résultats», explique Hybois qui a d’abord entraîné des valides, avant de se consacrer aux Bleus handisport. En étroite discussion avec l’archer, le coach «bidouille, essaie et teste» au préalable chaque système qu’il imagine. Toucoullet, lui, tire jusqu’à 500 flèches plusieurs jours par semaine à l’entraînement, pour emmagasiner un maximum de répétitions et de sensations. Avec un suivi spécifique constant sur les cervicales «car c’est violent», mais aussi chez le dentiste.

Le Français, numéro 1 mondial et favori de sa catégorie, espère inspirer ceux qui pensent que le tir à l’arc «n’est pas un sport» ou «n’est pas fait pour eux». Vincent Hybois, lui, en est certain : avec de l’imagination et de la créativité, tout le monde peut pratiquer. Et «si un jour quelqu’un vient me voir pour faire du tir à l’arc et que je ne trouve pas de solution pour qu’il puisse pratiquer, j’arrête ce métier».