Présidée par Anne Hidalgo, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) «construit tout ce qui restera après les Jeux», résume Nicolas Ferrand, son directeur général. Cet ingénieur urbaniste de 49 ans, diplômé de l’Ecole polytechnique et du MIT, a notamment travaillé sur la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Dotée d’un budget de 3,6 milliards d’euros, la Société de livraison des ouvrages olympiques coordonne 29 maîtres d’ouvrage différents et tous les grands noms du BTP français en vue de livrer, d’ici le 31 décembre 2023 dernier délai, 62 ouvrages différents. Les deux principaux sont le village olympique, à cheval sur les communes de Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Ile-Saint-Denis, qui doit accueillir 15 000 athlètes, et sera transformé après les Jeux en quartier d’habitation et de bureaux conçu pour accueillir 6 000 habitants et autant d’employés. Et village des médias, en lisière du parc départemental de La Courneuve, sur la commune du Bourget.
Les autres équipements sont réalisés par les collectivités locales sous la supervision de la Solideo, qui s’assure que les chantiers ne prennent pas de retard dans un planning très serré : la Marina pour la voile par la ville de Marseille, le Centre aquatique olympique par la Métropole du Grand Paris près du Stade de France, la piscine d’Aubervilliers par la commune et l’Arena II Porte de La Chapelle par la mairie de Paris. Interview.
Vous revenez de Tokyo : quelles sont vos impressions par rapport aux ouvrages olympiques et les leçons que vous en tirez pour les Jeux français ?
Un journaliste a parlé de «Jeux de la mélancolie», l’expression est très juste : tout était prêt, les Japonais étaient tous à leur poste avec cette prévenance, cette attention qui les caractérisent et c’était vide. C’était étrange, comme si on attendait que quelque chose se produise. C’était extrêmement bien organisé et j’ai été impressionné par la qualité de finition des ouvrages : un béton absolument lissé, la charpente du stade olympique était parfaite, le gymnase Ariaké, cet assemblage de poutrelles de bois qui le fait ressembler à un Kapla, est un petit chef-d’œuvre qui plus est, démontable. Obtenir une finition aussi parfaite va constituer un vrai défi pour nous. En outre, alors qu’ils ont construit beaucoup plus que nous, les Japonais ont été parfaitement à l’heure : ils avaient fini six mois avant les JO. Nous qui avons des leaders mondiaux dans le domaine de la construction, nous devons faire au moins aussi bien.
Le deuxième enseignement, c’est qu’autour des équipements on a besoin de beaucoup de place. La complexité logistique est telle qu’il faut doubler la surface du site de compétition. Or, autant les Jeux de Tokyo ont été construits dans la périphérie, autant les Jeux français sont urbains. Comment implanter tout ce provisoire – les tentes, les Algeco, les kilomètres de câble, etc – dans une zone aussi dense ? Enfin, le troisième défi est la qualité de l’accueil. A Tokyo, une fois qu’on était contrôlé à l’entrée, on était absolument libre de se déplacer sur les sites. Dans le village olympique, ils ont très bien réussi le restaurant, parvenant à faire de cette énorme machine qui sert 2 800 couverts, 24 heures sur 24, un lieu convivial, très lumineux, et assez calme. Il nous faudra réussir aussi bien le dining hall au sein de la Cité du Cinéma à Saint-Denis.
En quoi les Jeux français seront différents des éditions précédentes sur le plan de la construction et de l’urbanisme ?
Notre singularité, c’est qu’on fait moins d’équipement neuf et plus de rénovation. En termes de volume, on construit deux fois moins qu’à Londres en 2012. En termes de coût, les Jeux français devraient coûter 2,5 fois moins que les Japonais : 7,4 milliards d’euros pour Paris, 15 milliards d’euros pour Tokyo selon le budget officiel, le budget réel étant bien plus important. Les Japonais ont beaucoup construit en béton en raison des contraintes sismiques et climatiques, là où nous avons privilégié le bois. Cela s’explique aussi par le fait que leur projet a été élaboré en 2010, et le nôtre à partir de 2017 : il affiche donc une ambition environnementale très forte. Ce seront les premiers Jeux alignés sur les accords de Paris.
Notre approche a été de privilégier la sobriété, le réemploi et la qualité de vie pour les habitants. Par exemple, les travaux du village olympique, qui occupera une surface de 330 000 m², vont émettre 47 % de moins de carbone que ce qui se fait aujourd’hui à volume égal. La France vise une réduction de ses émissions de CO2 de 50% en 2030, mais on peut dès aujourd’hui atteindre cet objectif. A cet égard, les Jeux vont permettre de montrer au monde ce dont notre industrie de la construction est capable, ce sera une vitrine du savoir-faire français. Dans le village olympique de Tokyo, qui a été entièrement construit en béton, il y a une climatisation individuelle dans toutes les pièces. On a regardé avec Météo France et anticipé qu’à partir de 2050, il fera chaque été aussi chaud que lors de la canicule de 2003. Les immeubles ont été conçus de manière à ce que la température ne dépasse jamais 26 degrés, sauf pendant 150 heures par an. On démontre ainsi qu’on est capable de faire un bâtiment sans climatisation.
L’autre dimension, c’est la réversibilité. Les bâtiments qui logeront les athlètes, dans ce qui seront des chambres d’étudiant, vont devenir des appartements familiaux et des bureaux. Ils sont modulables, et nos successeurs pourront très facilement les recloisonner pour leur donner une troisième vie. On ne construit pas simplement pour nous, mais pour les générations suivantes.
Vous présentez les Jeux comme un accélérateur du développement, et notamment de la Seine-Saint-Denis, mais pour vos détracteurs, ils sont plutôt un accélérateur de la bétonisation. Que leur répondez-vous ?
D’abord, tout ce qu’on fait à l’occasion de ces Jeux, c’est mettre en œuvre un projet politique qui préexistait depuis 20 ans. Le village olympique était porté par Patrick Braouezec [l’ancien maire PCF de Saint-Denis et président de l’agglomération Plaine Commune, ndlr], qui voulait transformer la zone industrielle située à la Plaine Saint-Denis, autour de la Cité du cinéma et du Stade de France. De même, le village des médias permet d’accélérer la transformation, voulue par Stéphane Troussel [le président PS du Conseil départemental, ndlr], de la zone autour de la station du T11 entre Dugny et Le Bourget.
On n’a pas créé ex nihilo ces projets mais les JO sont un accélérateur énorme : on fait en 6 ans ce qui aurait pris entre 10 et 20 ans. Par exemple, le parc de La Courneuve va être agrandi de 13 hectares grâce à la dépollution d’un ancien site militaire, le «Terrain aux essences», qui va accueillir les épreuves de tir. Sans les Jeux, on n’aurait jamais trouvé les 12 millions d’euros nécessaires à la dépollution.
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Il y avait trois points de contestation. Le village des médias sur l’Aire des vents, la justice a tranché. Pour l’échangeur de Pleyel, le conseil d’Etat a rejeté le 5 août le pourvoi d’une association de parents d’élèves qui craignait que la refonte de la voirie n’entraîne plus de circulation routière. Reste la piscine d’entraînement d’Aubervilliers : le permis de construire [qui n’a pas encore été déposé par la mairie, ndlr] pourrait être attaqué par les utilisateurs des jardins ouvriers.
En réalité, c’est un projet ancien, qui remonte à 2005, lors de la candidature de Paris aux Jeux de 2012. A l’époque, la piscine olympique devait être construite à Aubervilliers mais finalement le choix pour 2024 s’est porté sur Saint-Denis. La ville, qui manque d’équipements sportifs, a obtenu en compensation la construction d’un bassin qui servira pour l’entraînement pendant les Jeux. Il faut savoir qu’en Seine-Saint-Denis, il y a beaucoup de familles qui ne partent pas en vacances, donc une piscine, c’est plus que des lignes d’eau où les gens font des longueurs, mais c’est un lieu pour passer de bons moments, avec un toboggan, un espace aqualudique, etc. C’est le cas de la piscine d’Aulnay-sous-Bois qui a été inaugurée récemment par le Premier ministre.
Ce sera aussi le cas de cette piscine à Aubervilliers ou des autres bassins d’entraînement qui vont être construits. Certains disent que pour éviter de mordre sur les jardins ouvriers, il n’y a qu’à supprimer le solarium. Mais en dessous, il y a toute la machinerie de la piscine. Renoncer au solarium supposerait de reprendre tout le projet, or dans ce cas on ne tiendra pas les délais.
En tant qu’urbaniste, et au vu de votre expérience, constatez-vous une résistance plus grande aux projets d’aménagement urbain ? Après la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, on a eu celle contre le Triangle de Gonesse, qui a eu raison du projet Europacity, et maintenant on a la JAD («Jardins à défendre») d’Aubervilliers…
Il faut savoir que les dix-neuf jardins qui doivent être détruits seront reconstitués, et que 17 propriétaires sur les 19 membres de l’association du «Jardin des vertus» ont donné leur feu vert. Il n’empêche que l’attachement à ces jardins, à une terre qui a été façonnée par leurs mains, est tout à fait compréhensible. Dans un autre poste que j’ai occupé, à Rennes, j’ai déménagé des jardins ouvriers ; ce qui est compliqué avec les Jeux, c’est qu’on a très peu de temps pour accompagner le projet, on ne peut pas se laisser un an de plus pour l’amender dans le sens des attentes des gens, par exemple. En plus il y a eu un changement de maire à Aubervilliers [dirigée depuis 2020 par l’UDI Karine Franclet, ndlr].
Au-delà, l’opposition qui s’exprime à Aubervilliers est un sujet politique, au sens noble du terme : que fait-on des biens collectifs ? Question qui se posera aussi pour le projet plus global d’aménagement du Fort d’Aubervilliers, où sera construite la future gare du Grand Paris Express. Elle a été déclarée d’utilité publique et là aussi une vingtaine de jardins ouvriers devraient être délocalisés. D’une manière générale, je ne dirais pas que la contestation est plus grande. Quand j’ai commencé ma carrière, certaines réunions publiques étaient déjà très houleuses, je me souviens d’un agriculteur qui était prêt à me balancer sa chaise !
Aujourd’hui, il y a une attente plus forte d’être convaincu que le projet est bon, que l’on a répondu à toutes les questions que les gens se posent. Il faut plus de temps de pédagogie, de conviction et d’écoute. Au cœur de ces conflits d’usage, on rencontre toujours la même contradiction : on vit dans une planète avec des ressources limitées et en même temps il faut continuer à loger les gens – et singulièrement en Ile-de-France. Comment en construire avec sobriété et économie de moyens tout en répondant à la crise du logement, c’est la question à laquelle nous avons essayé de répondre avec ces Jeux.