Avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur les Jeux de Paris 1924 tels que la presse de l’époque les a racontés.
«Pas de femmes ! Pas de femmes ! Ce bon vieux refrain n’est plus en usage.» Le 15 juin 1924, le quotidien la Presse ne cache pas son enthousiasme : «Nous aurons des femmes aux Jeux olympiques. Elles ont conquis le droit de disputer le tournoi de tennis et celui d’escrime et leur aimable présence sera un attrait de plus.» Nous sommes à trois semaines de l’ouverture des Jeux de Paris quand l’un des premiers grands quotidiens populaires français pousse ce cri de joie dans un débat qui agite les journaux français depuis quelques années : des femmes aux JO ? Hérétique ou fantastique ?
Pour Pierre de Coubertin, le réinventeur des Jeux, la place de la femme n’est certainement pas au stade. Entre autres éructations 100 % misogynes, on lui doit un «elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille et doit être élevée en vue de cet avenir immuable». Mais aussi l’idée que les Jeux olympiques constituent «l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle […] avec l’applaudissement féminin pour récompense».
Certains titres de la presse française s’alignent plus ou moins sur la ligne de Coubertin. Plus en ce qui concerne la Revue française politique et littéraire. Le 19 mars 1922, le mensuel d’information générale dégaine. Que les femmes «jouent, certes, à tout ce qu’elles voudront : nous ne faisons pas le rêve de les mettre sous cloche. Qu’elles pratiquent le tennis, la natation, la balle au panier, tout ce qu’elles voudront. Mais qu’elles ne luttent pas en public. Elles ont beaucoup à y perdre et n’ont rien à y gagner, pas même la bonne santé. Elles auront beau faire et beau dire, elles ne sont pas des garçons, nous n’y pouvons rien ; elles seront toujours ridicules quand elles s’exhiberont pour rivaliser en public. Les piqués du sport intégral nous parlent toujours des Grecs ; soit, parlons-en. Est-ce qu’il y avait des épreuves féminines aux Jeux olympiques ? […] Pourquoi pas des femmes lutteuses, boxeuses, coureuses cyclistes ? On a essayé parfois de lancer des exhibitions de ce genre. Elles ont sombré dans le grotesque.»
Au grand dam(e) du baron, les femmes continuent de mettre un pied dans la porte des Jeux. Elles sont 22 en 1900 (tennis, golf, croquet), 6 en 1904 (tir à l’arc), 37 femmes en 1908, 48 en 1912, 65 en 1920 et 135 à Paris sur 3 089 engagés au total. «Cantonnées» à la natation, au tennis et à l’escrime (sur 17 sports). L’athlétisme, discipline olympique reine, leur est fermée. Devant cet ostracisme, la Française Alice Milliat, qui restera dans l’histoire comme la première militante du sport au féminin, a organisé à Paris dès 1922 les Jeux olympiques féminins, qui deviendront officiellement les Jeux mondiaux féminins, interdiction lui étant faite d’utiliser le terme, elle devra renoncer à utiliser ce label. Sans parvenir à imposer les femmes aux vrais Jeux par le Comité international olympique qui estime les épreuves «inintéressantes, inesthétiques et incorrectes». L’ouverture de l’athlétisme aux femmes, en 1928 à Amsterdam, signera leur entrée officielle dans le cénacle olympique.
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En France, les mentalités ont évolué. La preuve, on ne discute plus de la présence des femmes aux Jeux mais s’interroge sur l’éventualité que l’une d’entre elles, la joueuse de tennis Suzanne Lenglen, se voie confier l’honneur de prononcer le serment olympique au nom de tous les athlètes participant aux JO. Trois candidats se détachent pour tenir ce rôle éminemment symbolique : «Lucien Gaudin qui, s’il ne possède pas le titre officiel, est généralement considéré comme le champion du monde des armes ; Géo André, athlète complet, coureur, sauteur remarquable, qui représentait déjà la France en 1908, aux Jeux de Londres et la représentera sans doute encore cette année ; Suzanne Lenglen enfin, l’invincible championne du monde de lawn-tennis, raconte le 3 mai l’Excelsior, un quotidien à l’origine d’une révolution dans la presse quotidienne en consacrant une large part à la photo. Entre ces trois concurrents aux titres divers, on hésite. Il y a de quoi. Pourtant, nous pouvons bien dire qu’au cours d’une réunion tenue hier, c’est avec une sympathie très affirmée que l’on a parlé de Suzanne Lenglen. Si cette information se confirmait, la célèbre joueuse serait la première femme à qui pareil honneur aurait été réservé. Et ceci ne laisserait pas d’être éloquent, quant à la cause de l’émancipation féminine, si l’on songe que jadis, en Olympie, il était interdit aux femmes de pénétrer sur le stade, sous peine de mort.»
Sur le même sujet, même référence aux Jeux originaux du côté de l’Intransigeant du 6 mai 1924. «Dans les Jeux antiques, les femmes furent longtemps exclues de la compétition et elles n’y furent par la suite que simplement tolérées, rappelle le quotidien de tendance socialiste mais odieusement antisémite lors de l’affaire Dreyfus. Confier la cérémonie du serment à Mlle Lenglen serait donc une manifestation de féminisme un peu osé et comme une sorte de défi lancé aux hommes. Ce serait en quelque sorte une manière de serment d’Annibal», qui jura à son père de haïr et combattre les Romains. Considérer que confier le serment olympique à une femme serait une déclaration de haine et de guerre éternelles à la gent masculine, l’Intransigeant n’y va pas avec le dos de la médaille.
La Presse, qui s’enthousiasmera deux mois plus tard de la présence des femmes aux Jeux, se montre beaucoup moins avant-gardiste sur le sujet. «A notre sens, ce n’est pas à une femme qu’il appartient de prêter ce serment. Ce n’est pas parce que cela ne s’est jamais fait. Il y a en matière sportive bien des choses qu’on n’a jamais faites et qui seraient à faire ; mais il faut laisser aux athlètes mâles une prérogative qui leur appartient», décrète le quotidien, le 2 mai 1924.
Suzanne Lenglen ne prononcera pas le serment olympique, un honneur finalement attribué à Géo André. Mais les femmes sont bel et bien présentes en cet été 1924 à Paris. Les nageuses y ont particulièrement leur place, plaide Paris-Soir, l’un des premiers grands quotidiens populaires, qui écrit, le 21 juin : «Les épreuves féminines portées au programme des éliminatoires olympiques français qui vont se disputer samedi et dimanche prochain au Stade nautique municipal des Tourelles, Porte des Lilas, ne le céderont en rien comme intérêt aux épreuves masculines, bien plus même, elles s’annoncent comme devant être plus intéressantes encore, car les progrès de nos nageuses au cours des derniers mois ont été considérables.»
Un mois plus tard, les épreuves réservées aux «ondines» des Jeux, suscitent l’admiration du public, raconte le même Paris-Soir du 16 juillet : «Les épreuves féminines donnèrent lieu à quelques émotions.» Mariette Protin seule représentante française termine dernière de sa course. Mais elle a gagné l’admiration des spectateurs. «Le public lui fait une ovation, bien méritée d’ailleurs. Et s’il savait, le public, que Mariette Protin a mené de front ses études et le sport, et qu’il lui fallut abandonner ses cours et ses concours pour les Jeux, il ne pourrait que s’incliner.»
Le Matin du 3 juillet souligne aussi que l’escrimeuse «Melle Prost» dont «on remarqua la grâce élégante» est également une sportive complète : «Elle pratique également la course à pied, le football, l’aviron et surtout la culture physique», souligne le journal soulignant que «pour la première fois dans l’histoire, les concurrents [en escrime, ndlr] étaient en jupon».
Car n’en doutons pas, la tenue des olympiennes participe aussi de l’intérêt de journalistes tous masculins. Serge Veber qui, dans la Presse du 15 juin, se réjouit de voir des femmes aux Jeux n’est pas sans arrière-pensées : «Le costume d’escrimeuse est seyant : veste collante, petite jupe courte et bas noirs. Mais si nous avons des épreuves féminines de natation, rien ne vaudra le costume des ondines. Car c’est encore le maillot de bain qui est la plus charmante tenue.» Ça fait mâle.