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1924-2024, les JO à Paris

JO de 1924 : «Pour les banlieusards et les Parisiens, il y a en perspective des heures singulières avec ces bougres de Jeux olympiques»

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Il y a un siècle Paris accueillait déjà les Jeux olympiques. Qu’en disait la presse à l’époque ? Elle fustigeait le choix du stade de Colombes pour accueillir les compétitions, prévoyant d’insolubles tracas pour y accéder.
Le stade olympique de Colombes en 1924. (Bride Lane Library/Popperfoto. Getty Images)
publié le 27 mars 2024 à 13h42

Chaque semaine avec RetroNews, le site de presse de la BNF, les Jeux de Paris 1924 tels que la presse de l’époque les a racontés.

Pourquoi un incident à Londres un an avant les JO de Paris de 1924 alarme-t-il la presse française. Le 28 avril 1923, le stade de Wembley accueille le public pour la première fois pour la finale de la Coupe d’Angleterre de foot. Succès populaire immense : 126 047 billets sont officiellement vendus mais entre 150 000 et 250 000 spectateurs se pressent autour de l’enceinte. La situation ne peut que prendre un tour dramatique. Il faut envoyer la police montée disperser la foule qui veut entrer. Plus de 1 000 personnes sont blessées dans la bousculade. Le drame de Wembley marque les esprits en France. Deux semaines plus tard, évoquant les Jeux qui doivent se tenir un an plus tard dans la capitale, le quotidien l’Homme libre s’inquiète donc : «Souvenons-nous des écrasements de Wembley.»

Selon le journal, le péché originel, c’est bien le choix du stade olympique à Colombes, au nord de Paris, dans ce qui ne s’appelle pas encore les Hauts-de-Seine : «Rien n’est envisagé encore pour amener, avec le minimum d’encombrement et d’embouteillages le flot incessant des spectateurs qui va se porter ces jours-là vers Colombes. […] Bien des palabres se sont tenues à propos du prolongement du métropolitain ; bien des billevesées très sérieusement proférées, ont été échangées sur la création d’un train aérien. […] Ces deux projets sont lettre morte.» Et le journal de jouer les Cassandre : «Il n’est peut-être pas inopportun de rappeler les événements terribles, récemment survenus en Angleterre : cette multitude de personnes étouffées, broyées, écrasées… […] Mais à entreprise formidable, moyens formidables ! Les avons-nous ? … Et responsabilités formidables, également…»

Les sites olympiques et comment y accéder dans l’Excelsior du 19 mars 1922

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«Ces bougres de Jeux olympiques»

Un an plus tard, la situation semble toujours aussi inquiétante. Alors que les Jeux doivent s’ouvrir le 5 juillet, le Populaire, dans son édition du 18 avril 1924, prévoit l’apocalypse. «Le problème est-il soluble ? Quel embouteillage en perspective ! Embouteillage prévu autour du stade, engorgement des voitures à la porte de Champerret, et pour tout dire, embouteillage de toute la banlieue environnante. 30 000 voitures, en moyenne, effectueront chaque jour le trajet entre Colombes et Paris par une route de largeur fort moyenne.» Encombrements sur les rails également, pronostique le journal. Entre Saint-Lazare et Colombes, ça va charbonner. «De midi à 14 heures et de 17 heures à 22 heures, les trains se suivront dans les deux sens de deux minutes en deux minutes. […] En prévision de ce trafic intense, le réseau de l’Etat demande aux pouvoirs publics, que les passages à niveau de Colombes et Bois-Colombes soient, à certaines heures de la journée, supprimés. […] Deux importantes agglomérations de la région parisienne seront, au moment où la circulation automobile est intense, paralysées dans leur vie normale. […] Ah ! pour les banlieusards et même pour les Parisiens, il y a en perspective des heures singulières avec ces bougres de Jeux Olympiques.»

Moins alarmiste que le Populaire, Paris-Soir de la même date préfère insister sur le sens de l’anticipation des pouvoirs publics et annonce qu’ «en vue des Jeux olympiques, le préfet de police réglemente la circulation». L’impératif : «Il faut éviter les embouteillages aux portes de Paris et les accidents et les encombrements entre Paris et Colombes». La liberté de circulation en prend un coup au passage. Pour accéder à Colombes, les voitures n’auront droit d’emprunter que l’une des sept portes de Paris (Clichy, Asnières, Courcelles, Champerret, Villiers, Ternes et Neuilly). Et «la circulation s’y fera désormais à droite», a décidé le préfet. Mais, bonne nouvelle pour les automobilistes, ils ne seront plus frappés au portefeuille en fonction de la quantité d’essence transportée, selon le système de l’octroi (contribution perçue par les municipalités à l’importation de marchandises sur leur territoire). Pour des raisons logistiques plus qu’olympiques : «Le système actuel entraînerait des embouteillages sans remède et le personnel de l’octroi, si nombreux qu’il fût, ne parviendrait jamais à accomplir toute la besogne.»

Pour que tout roule, «monsieur Paul Guiraud, directeur de la police municipal» a établi «le code de la route qui mène aux Jeux olympiques», explique l’Œuvre du 24 avril. Gengis Khan, Alexandre Le Grand, Clausewitz et Napoléon réunis dans un même cerveau n’auraient pas établi une stratégie plus élaborée et détaillée pour partir sur quatre roues à l’assaut du stade de Colombes. Les voitures officielles attaqueront par la porte et l’avenue de Neuilly. Les véhicules particuliers rouleront sur un autre flanc. Les autocars investiront les boulevards Bineau, de Verdun, de Lutèce… «Les voitures gardées déposeront leurs voyageurs rue Paul-Bert, devant le Stade et gagneront par le boulevard d’Achères, ou la digue de Gennevilliers, les garages de leur choix. A la sortie, les voitures seront reprises directement dans les garages par leurs occupants ou appelées devant le stade par téléphone, à la condition qu’elles ne s’y arrêtent que le temps strictement nécessaire pour charger. Les voyageurs devront attendre leur voiture et non la faire attendre.»

Et la gare «Le Stade», spécialement conçue pour l’occasion ? Ni faite ni à faire, cingle l’Œuvre. «On a conçu petit et mesquin. Quelques baraques munies de guichets et c’est tout.» Accéder au stade depuis Le Stade ressemble à un steeple-chase : «Imaginez une trouée de quelques mètres de largeur faite dans le talus de la voie ferrée. […] C’est là que déferleront les foules. […] Les athlètes et leurs spectateurs se trouveront sur un chemin champêtre à peu près impraticable.» Et le journal d’égrainer les embûches qui attendent les intrépides pour conclure venimeusement : «Il était difficile d’organiser plus sûrement l’accident et l’embouteillage.»

Le 28 juillet 1924, la flamme olympique même pas éteinte, la Liberté canarde les organisateurs pour avoir élu Colombes : «Choix néfaste au premier chef. Comment a-t-on pu escompter faire faire quotidiennement à des étrangers, ou à des provinciaux – voire à des Parisiens – le voyage dispendieux, chaotique, interminable de la capitale aux lointaines plaines de Colombes ?» Les Colombiens ont dû apprécier.