La vague, située à environ 400 mètres du rivage à Teahupo’o, à Tahiti (Polynésie française), voit s’affronter depuis des années les surfeurs du monde entier. C’est sur ce lieu mythique, surnommé «la Mâchoire», que les épreuves de surf des prochains Jeux olympiques doivent avoir lieu, du 27 au 30 juillet 2024. Si l’évènement reste attendu sur la presqu’île, un projet de construction d’une tour dédié aux arbitres ne fait en revanche pas l’unanimité.
Habituellement, une tour d’arbitrage en bois, datant de 2008, accueille le jury lors des compétitions internationales. Installée dans le lagon à 250 mètres de la vague, elle peut accueillir 25 personnes et ne reste que le temps des épreuves. Mais, pour répondre au cahier des charges très exigeant du Comité international olympique, une nouvelle structure s’impose.
Constitution d’un collectif
La nouvelle tour, en aluminium, doit reposer sur 12 plots contenant chacun 3 à 6 micropieux métalliques. Coût des opérations : 527 millions de francs CFP (4,4 millions d’euros). La structure doit pouvoir accueillir 40 personnes. Une canalisation en fonte de 800 mètres et 20 centimètres de diamètre reliera cette tour à la terre afin d’acheminer de l’eau, l’énergie, la fibre et évacuer les eaux usées. Coût des opérations : 67 millions de francs CFP (558 000 euros). Pour construire la tour, aucune étude d’impact préalable n’est obligatoire, car l’ouvrage sera démonté et ne dépassera pas 2 400 mètres carrés. Pour autant, le gouvernement polynésien et le comité organisateur des JO 2024 ont sollicité un bureau technique spécialisé en environnement marin pour se pencher sur la question.
Des informations qui ont été portées à la connaissance de la population que très récemment. Deux réunions ont été organisées, l’une le 15 septembre et l’autre le 16 octobre. «Nous regrettons l’absence de concertation et de transparence, d’autant que la Direction de l’environnement n’a pas été impliquée», pointent les associations de protection de l’environnement. Ces dernières, comme l’association de défense du Fenua Aihere (district de Tahiti) de Teahupo’o, présidée par Annick Paofai, et l’association de protection de l’environnement Vai ara o Teahupo’o, ont intégré un collectif qui compte aussi des pêcheurs et des surfeurs. «Nous avons réclamé les projets et études sans y avoir accès», affirment les membres du collectif. Hélène Fariki, directrice générale des services de la commune de Taiarupu-Ouest, confirme : «Nous n’avons pas été autorisés à communiquer sur tous les éléments que nous avions.»
«Nous craignons pour la biodiversité»
Le dimanche 15 octobre, à Teahupo’o, une manifestation a mobilisé 400 personnes. Une pétition, mise en ligne le lendemain et demandant notamment de renoncer à la nouvelle tour, cumule plus de 80 000 signatures. Une vidéo du surfeur Matahi Drollet, diffusée sur son compte Instagram le 17 octobre, a été vue 7,6 millions de fois. Le sportif est considéré comme l’un des meilleurs free surfeurs à Teahupo’o. «Nous craignons pour le récif, la biodiversité, la vague car la faille qui permet sa formation est menacée», résume Astrid Drollet, de l’association Vai ara o Teahupo’o, et tante du surfeur. «Nous avons fait ce qu’il convenait de faire, dans l’ordre», rétorque Barbara Martins-Nio, responsable du site de Tahiti pour le comité olympique.
Nahema Temarii, la nouvelle ministre des Sports de Polynésie, a repris le dossier en main. Le dialogue, qu’elle souhaite constructif, a pu démarrer. Samedi, les associations ont été invitées par le comité organisateur et le gouvernement à se rendre sur le site avec la société chargée des travaux. Le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, était là. Il partage les inquiétudes mais insiste sur la nécessité de comprendre l’ensemble du projet. Présente également, Annick Paofai se dit rassurée par les démonstrations auxquelles elle a assisté, notamment sur la technique de forage utilisée pour installer les plots. «C’est moins traumatisant que ce que nous avions imaginé. Par ailleurs, nous avons gagné la présence d’un représentant de notre association sur le chantier», qui doit débuter début 2024. Elle promet de «veiller au grain». Vai ara o Teahupo’o a refusé de se déplacer. «Accepter, pour nous, c’était cautionner», pointe Astrid Drollet, dont l’association souhaite que la nouvelle tour s’appuie sur les pieux existants et qu’il n’y ait pas de canalisation. «On peut très bien utiliser des panneaux photovoltaïques, le wifi qui fait ses preuves lors du World Championship Tour [en août 2023] et des toilettes sèches et gels hydroalcooliques. Les mots d’ordre de ces jeux n’étaient-ils pas la durabilité, la sobriété, l’innovation et le respect de l’environnement ?» interroge Astrid Drollet, qui prévient : «Nous ne les laisserons pas faire.»