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Tous les regards sont rivés sur elle. LA vague. Smartphone en main, quelques chanceux embarqués sur les navettes gratuites de Paris 2024 ne perdent pas une miette du spectacle qui se joue sous leurs yeux. Il est 8 heures du matin à Tahiti, la pluie arrose la vague de Teahupo’o et en ce dimanche 28 juillet. Le deuxième jour des épreuves olympiques de surf vient de débuter. Mais la discipline du jour s’appelle le repêchage de Français.
Au large du village de Teahupo’o, 24 bateaux accueillent athlètes, délégations, familles, public et journalistes. La water patrol garde un œil sur tout le monde et s’occupe des transferts avec une vingtaine de jet skis. Sous les applaudissements, ils déposent la Française Johanne Defay. La veille, la surfeuse tricolore s’est fait très peur sur «la mâchoire», l’un des surnoms de la vague qui raconte bien sa dangerosité en raison du manque de profondeur sur le récif. Dès sa première vague, elle s’est écrasée sur les coraux. Bilan : quatre points de suture et une entrée dans la compétition perturbée.
«Allez Jojo !»
Collier de fleurs tricolore autour du cou, Carine Vastel-Amzallag agite son petit drapeau patriotique avec énergie. Avec son mari, cette cardio-pédiatre de 44 ans a fait le voyage depuis le Val-de-Marne. Près de 16 000 kilomètres pour encourager l’équipe de France sur place et en direct. Mais ils sont des habitués de la Polynésie. Ils ont «fait du repérage» l’an dernier et sont «tombés sous le charme de cette vague». Alors ils ont participé au tirage au sort dans l’espoir de décrocher deux places pour la fan-zone tahitienne. Bingo. Après avoir quitté Papeete à 4 heures du matin et arpenté la route sous une pluie diluvienne, ils ont aussi eu la surprise de monter à bord d’un bateau. «C’est un des plus beaux moments de notre vie que l’on partage tous les deux. C’est magique», exulte la spectatrice. Chaque jour, trois embarcations effectuent des rotations, pour qu’un maximum de gens puissent profiter de la compétition sur le plan d’eau. Derrière son volant, le grand frère de Michel Bourez, la légende du surf tahitien qui commente aujourd’hui les épreuves, se réjouit de l’ambiance à bord : «Les gens sont contents. Ils me posent pleins de bonnes questions sur le fonctionnement de la compétition.»
Decryptage
«Elles sont à égalité, ça me stresse. Allez Jojo !» lancent Chayenne et Chloé, deux fans suivant le round de Johanne Defay sur leur écran de téléphone. La Réunionnaise est au coude à coude avec l’Australienne Molly Picklum, classée 4e mondiale sur le circuit pro, et finit par s’imposer avec un beau tube. Elle se qualifie pour les huitièmes de finales. Ouf. La surfeuse pointe fièrement du doigt le drapeau français floqué sur son lycra rouge. «J’avais clairement la série la plus difficile du deuxième tour. Mais je suis très contente d’être passée et d’avoir zappé ce qu’il s’est passé hier», confie-t-elle à sa sortie de l’eau.
«Il faut être accepté par la vague pour la surfer»
Au line-up, l’ambiance est décontractée. Du reggae et du R’n’B s’échappe des enceintes. De temps en temps, des sifflements fusent pour annoncer une grosse série de vagues. Paradoxalement, pour les habitués de cette étape du circuit pro, organisée chaque année par la World Surf League, le spot est très calme. Hermann Aurentz, qui habite à Vairao, le village à côté de Teahupo’o, accueille le temps des JO la presse du monde entier sur son bateau. Analyse mitigée jusque-là : «Ce n’est pas comme d’habitude, normalement c’est plus festif et familial. Il y a beaucoup plus de monde, certains viennent même en paddle ou en kayak. Il y a de la musique et les gens peuvent se baigner. C’est la fête, quoi ! Mais là, pour les JO, la sécurité l’a emporté sur le reste.»
Un rideau de pluie ruisselle sur les montagnes vertes coniques de Teahupo’o. Un vent de nord-est s’est levé violemment. «Normalement à cette période il vient du sud. Mais à chaque fois qu’il y a une compétition, il y a ce vent», observe Hermann Aurentz. Comme si la vague refusait d’être domptée. «Nos ancêtres nous ont toujours dit qu’il faut être accepté par la vague pour la surfer», poursuit-il.
Soudain le plan d’eau s’anime. Kauli Vaast, le quatrième Français engagé dans la compétition, débarque en jet ski avec son coach Jérémy Florès pour observer le spot avant son round. «Dans ces conditions-là, il faut être très technique et bien choisir ses vagues», analyse Haunui Faraire, en multipliant les marches avant et arrière, pour garder la distance de sécurité avec les bateaux qui l’entourent. Il faut avoir des yeux partout. Ce n’est pas du poisson que l’on a à bord, il y a des vies en jeu.» Et du matériel. Sur son bateau, se trouve une partie des photographes qui couvrent la compétition. Dans l’eau, aux plus près des surfeurs et du danger du «mur de crânes» (Teahupo’o, en vieux tahitien) Ben Thouard et Tim Mckenna, deux légendes de la photographie de surf; capturent à la nage les tubes légendaires de la compétition.
«J’ai failli me tuer deux ou trois fois sur les cailloux»
Il est 13h40. Kauli Vaast rejoint le pic sous les encouragements de la flottille. De la tour des juges, une voix annonce le lancement de la quatrième série qui oppose le surfeur français de 22 ans au Sud-Africain Matthew McGillivray. Le vent est retombé et le ciel bleu dévoile un lagon translucide. Vaast se lance sur sa première vague et sort du tube sous les applaudissements. Il enchaîne sur un second tube, avant de disparaître derrière l’épaule de la vague. Sur le plan d’eau, tout le monde retient son souffle et explose de joie lorsqu’il réapparaît dans les airs avec une impressionnante manœuvre à seulement quelques mètres du récif découvert. IL a donc enchaîné un 360° aérien et un «superman», cette figure dans laquelle le surfeur, dans les airs, ne tient plus sa planche que par les mains.
Survolant les repêchages, Vaast décroche son ticket pour les huitièmes de finale. La France a quatre qualifiés sur quatre. «J’ai failli me tuer deux ou trois fois sur les cailloux, mais voilà, ça passe. Je suis content d’avoir retrouvé mes sensations dans la série et d’avoir eu deux bons scores, ça fait beaucoup de bien», débriefe le jeune surfeur. Au prochain coup, il affrontera l’Américain Griffin Colapinto. Son capitaine, Joan Duru, fera face au Mexicain Alan Cleland. Côté femmes, le duel tricolore se prépare : Vahine Fierro et Johanne Defay se disputeront leur place en quart. Le soleil vient de se coucher sur le village. Tous les bateaux ont quitté le spot. La vague de Teahupo’o a elle aussi le droit à un peu de repos, avant les prochaines épreuves qui se poursuivront, si les conditions météo le permettent, lundi 29 juillet à Tahiti.