A Bou, un petit village du Loiret, c’est l’effervescence. Dans quelques heures, Tiziana franchira à bord de sa joëlette, un fauteuil roulant handisport qui lui permet de courir par monts et vallées, la ligne d’arrivée du Marathon pour Tous, aux Jeux olympiques de Paris 2024. Sa mère Cécile Blériot et son père Jean-Noël Bigotti s’affairent aux derniers préparatifs avant que la famille ne rejoigne la capitale deux heures avant le top départ. Non loin, Hudson veille comme toujours sur la jeune fille de 13 ans. Contrairement à d’habitude, lors des courses solidaires, son chien d’assistance ne sera pas auprès d’elle, car «Tiziana court désormais beaucoup trop vite».
Décryptage
Tiziana, grand sourire collé sur le visage, est atteinte d’une maladie génétique rare, un de ces noms barbares dont on ignore l’existence avant d’y avoir été confronté : la leucodystrophie métachromatique. Tiziana ne se tient ni debout, ni assise. Pour l’aider à parcourir les 42,195 longs kilomètres du Marathon pour Tous, six coureurs se relaieront à l’avant et à l’arrière de sa joëlette, où elle sera installée dans un corset. Tous sont des proches courant depuis des années, à Bou, avec et pour Tiziana. «On a embarqué beaucoup de gens avec nous, s’égaye Cécile Blériot, qui sera présente sur le bord de la route. C’est une vraie histoire d’inclusion par le sport.»
Aucun n’a bouclé de marathon dans sa vie. En seront-ils capables ce soir ? «Oui, ils vont le faire», répond la mère sans la moindre hésitation. Ils n’en sont pas à leur coup d’essai. A leur côté, Tiziana a remporté par deux fois les championnats du monde de joëlette, en 2022 et en 2024. Et pour les Jeux olympiques, ils ont placé la barre haute. Depuis un an, date de l’annonce de leur acquisition du dossard solidaire, ils se sont entraînés «dans la montagne, en Bretagne…». Ils espèrent ce soir boucler la course en moins de 5 heures. Tiziana, elle aussi, s’est entraînée, casque vissé sur la tête en cas de chute. «Ces deux derniers mois, elle a couru tous les dimanches».
Plus qu’un entraînement physique, c’est avant tout pour elle une préparation mentale. La jeune fille, vulnérable au bruit et à la lumière, a dû être «sensibilisée». Habituée aux courses relativement courtes, en journée, et au calme de la campagne, Tiziana s’est donc entraînée de nuit, en plein centre-ville d’Orléans, sur un temps plus long. «Malgré tout, on reste vigilants, on lui a ramené des bouchons d’oreilles», tempère Cécile Blériot. Jusqu’à présent, il ne leur ait jamais arrivé d’interrompre une course. «C’est très facile de la faire rire et jouer. Si jamais elle a un inconfort quelconque, l’idée c’est de lui détourner l’esprit, pour qu’elle reparte de plus belle», élabore-t-elle.
Interview
Tiziana ne parle pas. Pas besoin : tout passe à travers ses yeux verts clairs et son sourire. Et être sur la joëlette la rend heureuse. «On dit souvent que quand on nous annonce la maladie d’un enfant, la vie s’arrête. Tiziana, c’est tout le contraire, elle a sa vie et ses projets», s’émeut sa mère. Etre entourée et encouragée, ressentir la vitesse d’une pente, observer les arbres, tout ça, «elle adore», et le dit au travers de son sourire. Si Tiziana ne se rend pas compte de la singularité des Jeux olympiques, «elle sait qu’il va y avoir une course». Cécile Blériot se projette même à la place de sa fille : «Voir les monuments de Paris illuminés, ça va être magique pour elle».
La jeune fille fait partie de ces exceptions qui vivent plus longtemps que ce que l’on annonce aux parents. Du haut de ses 13 ans, ce sont six années qu’elle a grappillé. Son lourd traitement – une injection tous les 15 jours – suivi par un service spécialisé à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, a eu des effets bénéfiques sur Tiziana, en freinant l’évolution de sa maladie. Mais ce n’est pas la seule raison. Se savoir aimée, entourée, la stimule. Et la course joue un rôle essentiel dans son épanouissement. «Les médecins nous ont affirmé que Tiziana est heureuse de vivre. Et ça, ça n’a pas de prix». Ce soir, elle aura une raison de plus de sourire.