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A la maison

JO de Paris 2024 : «Chanceux avec l’océan», le surfeur tahitien Kauli Vaast a dompté «la mâchoire de Hava’e»

Le surfeur de 22 ans est devenu champion olympique ce mardi 6 août en réussissant à deux reprises à prendre la vague de Teahupo’o. Celle sur laquelle il s’exerce depuis son enfance.

Le surfeur tahitien Kauli Vaast, lundi 5 août, sur la vague de Teahupo’o. (Ed Sloane/AFP)
Par
Romane Pellen
Correspondance à Tahiti
Publié le 06/08/2024 à 12h14

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Teahupo’o a choisi son roi, il se nomme Kauli Vaast. Fidèle à sa réputation, la vague du bout de la route a choisi son vainqueur, dans la nuit de lundi à ce mardi 6 août. Et celui qu’elle voulait voir sacré champion olympique ne pouvait être l’Australien, Jack Robinson, mais son protégé, l’enfant de Teahupo’o au teint hâlé et à la crête iroquoise. Alors «la mâchoire de Hava’e» s’est réveillée trois fois. Trois vagues, et pas une de plus. Kauli, ou «celui qui va dans l’océan» en hawaïen, s’est faufilé à vives allures dans deux d’entre elles. Deux tubes longs et profonds, de l’un desquels il est sorti, tel un aito – le nom tahitien donné aux guerriers du Pacifique – les bras levés au-dessus de la tête. Face à lui, une foule transcendée par la performance de son jeune surfeur local de 22 ans a explosé de joie.

L’ambiance plutôt réservée des premiers jours a été balayée par une tornade de cris et d’encouragement. Pour la première fois depuis le lancement de la compétition le 27 juillet, les quelques spectateurs présents sur l’eau ont retourné le spot de Teahupo’o. Certains supporteurs agitaient fièrement des drapeaux polynésiens, pendant que des enfants, debout sur les rebords des taxi-boats, criaient à gorge déployée : «Allez Kauli !» Leia Li était à bord de l’un des bateaux. Pour cette Tahitienne de 25 ans, «le temps s’est arrêté», comme figé par la beauté du moment historique. «J’ai ressenti des frissons, c’était excitant, s’exlame-t-elle, le visage illuminé d’un large sourire. C’est le premier Tahitien qui gagne une médaille aux JO et en plus il la remporte à la maison, avec un sport qui vient de chez nous. Cette victoire est celle de Kauli, mais c’est aussi celle des Tahitiens.»

«Les quinze minutes les plus longues de ma vie»

A l’arrière d’un jet-ski, Kauli Vaast a poussé plusieurs cris, comme possédé par l’adrénaline de sa finale. Un drapeau français dans une main et un polynésien dans l’autre, il est arrivé sur le ponton enivré par la victoire et entouré de son frère, Naiki et de sa sœur, Aelan. Non loin de là, au milieu d’une foule de bénévoles et de proches venus acclamer leur champion, son père, Gaël, glissait à un ami : «Il l’a fait ! Tu as vu ? Deux vagues ça suffit !» Seule absente, sa mère, qui, stressée par l’enjeu, a préféré rester à la maison faire du jardinage. «Je vais rentrer et je sais que je vais devoir ratisser parce qu’elle aura tout coupé», plaisante son fiston, à peine sorti de l’eau et déjà impatient de rentrer faire un «câlin» à ses parents. «Je gagne pour tout le monde et pour Vahine [Fierro, Tahitienne elle aussi, ndlr] qui a malheureusement perdu trop tôt. Devenir champion olympique à la maison, c’est incroyable ! exulte-t-il. J’ai été chanceux avec l’océan, il n’y a pas eu beaucoup de vagues et j’ai eu les deux premières.»

«C’était les quinze minutes les plus longues de ma vie», reconnaît-il. Mais que demander de mieux quand on ouvre le bal des scores avec un 9,50 et un 8,17 ? «Le mana était avec moi depuis le début, je l’ai senti tous les jours», assure le jeune tricolore, en évoquant cette énergie ancestrale tahitienne. De quoi mettre en confiance le jeune prodige du surf. «Je suis très superstitieux», déclarait-il quelques mois plus tôt à Paris. A l’eau, le surfeur avait ses petites routines depuis le début de la compétition : s’imprégner de la série d’avant depuis un jet-ski, déconner avec la water patrol, chantonner, faire un gros câlin à son coach Jérémy Flores, avant de se mettre dans sa bulle sur le bateau de présentation des athlètes. «Il y a eu énormément de pression, mais il a réussi à la gérer. On a fait en sorte qu’il se sente bien et dans les meilleures dispositions tout du long», se réjouit son coach Jérémy Florès. Tout comme sa coéquipière Johanne Defay, qui a décroché la médaille de bronze, Kauli Vaast a débuté les Jeux par la case repêchages. Il revient de loin, mais il a gravi les étapes jusqu’à la finale, peu importent les conditions imposées par Teahupo’o.

«Passage de flambeau»

«Nous avons surfé dans toutes les conditions : gros, petit, très petit, onshore, offshore», souligne-t-il. L’occasion pour Kauli Vaast de rappeler qu’il était ici chez lui, sur ce spot qui l’a vu surfer sa première vague à l’âge de 8 ans. Cette même vague où il a progressé, entouré des plus grandes légendes de Teahupo’o. A l’instar de Raimana Van Bastolaer. «C’est comme un père pour moi, c’est grâce à lui que je suis là maintenant. C’est grâce à lui que j’aime Teahupo’o et que c’est devenu ma vague préférée», avait-il déjà raconté. Aux premières loges de ce succès, son coach Jérémy Florès : «Rame, rame, rame», «C’est bien mon bro, gogogo», «Respire, respire», pouvait-on entendre de la bouche du premier Français à s’être imposé à Teahupo’o, en 2015.

Avant qu’ils ne nagent l’un vers l’autre pour se prendre dans les bras. Aujourd’hui, à Teahupo’o, l’élève a dépassé le maître. «C’est un passage de flambeau et c’est magnifique. Kauli a pu montrer son vrai visage et son meilleur visage sereinement.» Celui d’un jeune homme compétiteur, aussi imprévisible que la vague de Teahupo’o. Sous les regards amusés de ses proches, Kauli Vaast est monté sur la première marche du podium… pieds nus. Un pied de nez à la rigueur olympienne.