Finale olympique du tennis masculin, dimanche 4 août. Le jeune Espagnol Carlos Alcaraz vient de se faire battre par Novak Djokovic. Il essuie une larme de la main… non sans oublier d’avoir remis sa Rolex, le poignet soigneusement tourné vers la caméra. Tournée en ridicule sur les réseaux sociaux, la séquence est pourtant très maligne côté sponsor. Car les marques, autres stars de ces Jeux, sont partout. Comme cette photo XXL de Léon Marchand avec le logo LVMH qui recouvre la moitié de la façade de la tour Montparnasse. Ou encore, plus discrets, les cristaux Swarovski incrustés sur le justaucorps de la gymnaste américaine Simone Biles. Mais aussi les kiosques à yaourt Danone installés dans les fan-zones. Une formidable vitrine pour les entreprises, qui se servent de l’image des athlètes et des valeurs sportives pour se mettre en avant.
Pour profiter de cette opportunité, les 78 sponsors de Paris 2024 n’ont pas lésiné sur les moyens et ont rempli les caisses du budget du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) à hauteur de 39 % du financement de l’événement, soit 1,7 milliard d’euros. Les plus généreux, les partenaires «premium» et «officiels», peuvent en contrepartie utiliser la marque olympique (logo Paris 2024, anneaux…). S’y ajoutent toutes les marques qui sponsorisent des athlètes et peuvent floquer leurs tenues, dans le cadre strict des règles de la charte olympique. Une occasion en or pour des marques qui parfois n’ont rien à voir avec le sport.
Graal pour améliorer son image et sa renommée
En ligne de mire des entreprises, les athlètes, véritables graals pour améliorer leur image et leur renommée. Pari réussi pour LVMH et Omega (groupe Swatch), avec leur choix, annoncé il y a un an, de sponsoriser la nouvelle star de la natation Léon Marchand, et pour Decathlon qui a fait de même avec 33 athlètes et parathlètes, dont Teddy Riner. De même pour Optic 2000, qui a misé sur les frères pongistes à lunettes Alexis et Félix Lebrun, ou encore pour On, marque de vêtements sportifs, qui a jeté son dévolu sur la tenniswoman Iga Swiatek, médaille de bronze. Parmi les Français, Adidas a choisi Antoine Dupont et le rugby. Pas de chance en revanche pour les rasoirs Gillette Venus, qui avaient misé sur la gymnaste Mélanie de Jesus dos Santos, éliminée au premier jour de la compétition, et le décathlonien Kevin Mayer, forfait. Mais Nike a eu du flair avec la judoka Romane Dicko, qui a remporté le bronze en individuel et l’or par équipe.
«C’était très stratégique de la part de LVMH de miser sur Léon Marchand, explique Quentin Witt, cofondateur de l’agence Ambeaven, qui met en relation sponsors et sportifs. Déjà en termes de visibilité, Léon Marchand étant passé de 100 000 abonnés sur Instagram à 1,2 million, les mentions de LVMH par le nageur seront vues à plus grande échelle.»
L’intérêt des marques est majeur, en particulier pour le monde du luxe : «Les athlètes représentent une nouvelle catégorie d’égéries, une communauté qui a un taux d’engagement très fort. Ils sont un vent de fraîcheur», analyse le directeur général du Journal du luxe, Eric Briones. «Pour les marques de luxe, c’est une façon de reconnecter avec la génération Z» poursuit-il. «Ils véhiculent des valeurs particulières comme l’excellence, le courage, la rigueur», affirme Quentin Witt. «58 % des consommateurs visitent le site d’une marque lorsque celle-ci est présentée par un athlète, contre 34 % par un influenceur classique» indique-t-il.
«Une opportunité de visibilité incomparable pour les sponsors»
Au-delà des athlètes, certains partenaires ont réussi à investir les Jeux olympiques sous tous les angles et par tous les moyens. Et les marques ne manquent pas de créativité, comme ces selfies des médaillés pris avec un téléphone Samsung – offert par le groupe aux 17 000 athlètes des Jeux – sur chaque podium. La photo commune des pongistes originaires des Corées du Nord et du Sud a presque eu l’air d’un rapprochement international, un vrai triomphe de com. Omega est omniprésent sur les images télé, sur le chronométrage officiel ou sur les murs du bassin olympique, avec aussi des montres géantes sur les sites parisiens. EDF et sa vasque font également un tabac. Les 100 000 créneaux de réservation ont trouvé preneurs en quelques heures et chaque soir, plusieurs milliers de personnes se rassemblent aux Tuileries et aux alentours pour admirer son décollage. De quoi permettre au fournisseur d’électricité «de toucher un public plus large» et de «montrer la technologie d’EDF au monde entier», avance le groupe. Ce peut aussi être un levier pour changer son image ou la dépoussiérer. Comme pour Decathlon, qui a fourni la tenue des 45 000 volontaires – d’ores et déjà revendues à prix d’or sur Vinted –, occasion «de parler de l’entreprise en tant que concepteur de produits», commente la directrice offre du projet JOP de Decathlon, Isabelle Pintiaux.
«Les Jeux olympiques sont une opportunité de visibilité incomparable pour les sponsors», affirme le directeur général du cabinet de conseil Circle Strategy, Jean-Marc Liduena. Avec 3,6 milliards de téléspectateurs pour les Jeux de Londres, en 2012 et 3,1 milliards pour les Jeux de Tokyo, «la moitié de la planète regarde les JO». Selon les projections de Circle Strategy, les Jeux de Paris 2024 devraient représenter un record de 464 000 heures de diffusion, soit 100 000 heures de plus que Tokyo, et 4 milliards de téléspectateurs. Voire davantage avec les replays.
La dimension éphémère des JO est par ailleurs un atout pour les sponsors, explique le conseiller en stratégie : «Les marques sont vues par tout le monde, tout le temps : la visibilité est omniprésente, condensée dans le temps. Et donc l’effet d’impression sur le consommateur est maximal.» Autrement dit : mieux vaut une campagne publicitaire pendant les quelques semaines des Jeux olympiques et paralympiques qu’un spot à l’année après un journal télévisé. Mais Jean-Marc Liduena ne limite pas les gains à la seule période olympique : «Les activités pré et post-JOP, comme le relais de la flamme – sponsorisée par le groupe BPCE – étendent la période de visibilité.» Une stratégie bien identifiée par les partenaires, comme Coca-Cola, qui a organisé des concerts gratuits dans plusieurs villes étapes du relais olympique. Et après ? «Les marques vont étendre leur visibilité en accompagnant les athlètes médaillés» plus longtemps, peut-être jusqu’aux Jeux de Los Angeles, envisage le conseiller. Sur les réseaux sociaux, l’effet est prolongé via des clips sur le making-of de leurs pubs ou de leur savoir-faire.
Accusations de «sportwashing»
Ces sponsorings permettent d’importantes retombées financières à long terme. En témoignent les résultats post JOP des dernières années : après ceux de Tokyo en 2021, le constructeur Toyota, principal sponsor de l’événement, a vu sa part de marché mondiale augmenter de 5 points. Même effet pour British Airways, partenaire des Jeux de Londres en 2012, qui a vu la sienne croître de 16 %, précise l’expert de Circle Strategy. Bien qu’il soit encore trop tôt pour chiffrer les gains pour Paris 2024, le comité d’organisation est en bonne voie d’atteindre son objectif de 1,34 milliard de dollars de revenus de sponsoring, selon Forbes. Certaines enseignes affichent déjà des retombées positives, à l’instar de Decathlon, qui a vu les chiffres d’affaires de ses produits sous licence connaître une hausse de 60 %, note l’enseigne.
Mais ce trop-plein de sponsors pendant les événements sportifs agace une partie du public. Pour preuve, les critiques sur la surexposition de LVMH pendant la cérémonie d’ouverture ou de l’omniprésence de Coca-Cola sur les sites des épreuves. La marque, partenaire des Jeux depuis 1928, a été pointée du doigt pour «sportwashing» par le monde médical.
Autre critique, la dépendance des athlètes à ces bailleurs de fonds. Trouver un sponsor est si difficile que certains acceptent trop rapidement un contrat inéquitable. «Si les sportifs ne sont pas accompagnés, il peut arriver qu’il y ait des problèmes avec les sponsors qui ne sont pas tout le temps honnêtes. Parfois, ils n’ont pas de rémunération en échange des publications qu’ils font sur les réseaux sociaux pour la marque», affirme Quentin Witt. Mais tous les espoirs leur sont permis, tant ils intéressent les grandes marques. «Le sport est le nouveau territoire de conquête du luxe», conclut Eric Briones.