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La natation française peut remercier les cieux : elle avance sur plusieurs jambes. A ceux qui croyaient que les médailles tomberaient dans sa mallette par la seule grâce de Léon Marchand, la soirée du mercredi 31 juillet a apporté un brillant démenti. La nouvelle terreur des bassins n’est pas seul à donner des frissons aux travées bouillonnantes de la Défense Arena. Anastasiia Kirpichnikova, une grande plante aux regards timides, pas beaucoup plus âgée que Léon le vorace – elle a 24 ans -, s’est invitée elle aussi sur le podium. Soyons clairs : elle y était nettement moins attendue.
Son terrain de chasse : les longues distances. Le 1500 m, domaine réservé des plus endurantes de la natation, où la performance se construit avec patience. A ce jeu, l’Américaine Katie Ledecky ne se connaît aucune rivale. Elle a raflé mercredi soir son deuxième titre olympique consécutif, sans laisser croire à quiconque dans la piscine, nageuses comme spectateurs, qu’il aurait pu en être autrement.
Derrière, divine surprise, Anastasiia Kirpichnikova. Deuxième dès la première longueur, elle a résisté à tout. A la douleur, au train d’enfer imposé par l’Américaine (15′30′'02, record olympique), au retour sur la fin de course de l’Allemande Isabel Gose (3ème en 15′41′'16). La Française s’offre une médaille d’argent, un record de France (15′40′'35), mais surtout une percée vertigineuse à l’indice de notoriété. Connue la veille encore seulement des spécialistes, elle a eu besoin d’une seule course pour se faire un nom, un prénom, et une place dans le sport d’un pays, la France, dont elle maîtrise encore mal la langue et la culture.
Son histoire est unique. Originaire d’une ville minière de l’Oural, Asbest, Anastasiia Kirpichnikova a longtemps nagé pour son pays natal, la Russie. Plutôt bien, et même un peu mieux que cela dans ses années de junior. A 15 ans, elle ramène quatre médailles, dont deux en individuel (argent sur 800 m, bronze au 400 m), des Jeux européens à Bakou. Les années suivantes, elle poursuit sur la même lancée, se tissant avec des gestes appliqués un palmarès où s’entassent les podiums sur les distances allant du 400 au 1500 m.
En 2019, la jeune Russe bouscule l’ordre établi en décidant de quitter le pays pour rejoindre Philippe Lucas, l’ex entraîneur de Laure Manaudou. Elle s’installe à Montpellier, puis l’accompagne à Martigues. Le choix est purement sportif. Il deviendra politique après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Lorsque tombe la décision World Aquatics, la fédération internationale de natation, d’exclure les nageurs russes des compétitions, elle comprend que son avenir de nageuse ne tient plus qu’à un fil. A deux ans des Jeux de Paris 2024, elle lance les démarches pour obtenir sa naturalisation française. En avril 2023, elle l’apprend par un décret paru au Journal officiel. «La France, c’est un peu comme ma deuxième piscine, répète-t-elle alors comme un refrain. C’est chez moi. Je veux collectionner les médailles pour la France.»
Avec Philippe Lucas, Anastasiia Kirpichnikova trouve un entraîneur taillé pour sa nature de dure au mal. Dans les bassins, l’homme est connu pour ne voir que par le travail, le travail et encore le travail. La nageuse encaisse. «Elle est une battante, capable de se faire mal, de résister à la douleur», détaille le coach. «Je veux lui dire merci, a confié la nageuse à sa sortie de l’eau, après la finale du 1500 m. Parfois nous sommes en colère l’un contre l’autre, parfois nous ne parlons pas. Et parfois, tout va bien entre nous. Mais sans lui, je n’ai rien.» Entre deux podiums de Léon Marchand, mercredi soir, Anastasiia Kirpichnikova n’a pas seulement reçu sa première médaille olympique. Elle s’est aussi découvert un public.