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Ce soir du 2 août, au milieu de l’euphorie des Jeux Olympiques, le staff de l’équipe de judo de l’Azerbaïdjan patiente à la sortie de l’Arena Champ de Mars. Huit jours qu’ils enchaînent ; des mois voire des années, qu’ils se préparent. La compétition est finie désormais. Ils ont de quoi exulter : leurs athlètes ont arraché deux médailles d’or. Pourtant, entre les coachs, managers, analystes vidéos… le silence règne. «On était heureux, on devait célébrer… Mais on n’était même plus capables de parler, se souvient Morgane Sellès, kiné de l’équipe. Moi, j’étais complètement vidée.» Comme si son corps ressentait, tout à coup, la charge et l’investissement de mois d’entraînement acharnés. Morgane Sellès avait déjà préparé des JO, en particulier avec l’équipe de France de judo avec laquelle elle a travaillé une dizaine d’années. Mais c’était la première fois qu’elle vivait les Jeux en direct.
Depuis quelques années, beaucoup d’athlètes ont pris la parole sur l’ampleur de leur investissement, physique, mental, des sacrifices demandés par le haut niveau. Mais la «fatigue olympique» gagne aussi les coulisses. «Il ne faut pas oublier les personnes qui encadrent les athlètes, et pour qui des questions similaires se posent», souligne Chloé Leprince, psychologue au centre de recherche de la Fédération française de football.
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L’épreuve, pour les athlètes et leur staff, commence quatre ans avant les olympiades. Pendant cette période, aucun ne compte ses heures. «Au judo, on a une compétition par mois. Je suis en déplacement 200 jours par an», détaille la kiné du sport. Le rythme s’accroît à mesure que les Jeux approchent. S’accélère encore une fois la compétition engagée. Les journées sont millimétrées. Pour Morgane Sellès, le marathon parisien commençait par un réveil à 6 heures, le bus à 7h30, arrivée à la salle à 8h15, fin de la compétition vers 18h30, puis podium et diverses obligations. Retour à l’hôtel à 20h30. Préparatifs du lendemain et massages jusqu’à minuit. Rebelote pendant huit jours.
«On est tout le temps là pour accompagner les athlètes, décrit-elle. En tant que kiné, je dois être vigilante en permanence, remarquer le moindre signe de blessure ou d’inconfort.» Pour les équipes encadrantes, la logistique prend aussi une place prépondérante : il faut avoir en tête les besoins de chaque athlète, leur heure de passage, les éventuels contrôles à passer, les accréditations, calculer le temps de transport, celui des repas, des allers-retours au Village ou à l’hôtel… «Si on m’appelait pour aller chercher de l’eau, de la bouffe, un pantalon de kimono parce que l’un s’est déchiré… je ne réfléchissais pas, je courais !»
«Ne pas montrer aux athlètes la pression»
«Notre cerveau n’est jamais vraiment reposé, raconte Clémence Monnery, entraîneuse de l’équipe de France de plongeon. Nous étions deux coachs pour 9 athlètes et notre rôle ne se contente pas d’être au bord du bassin.» Le jour où nous l’avons appelée, la finale est passée. Et Clémence Monnery se rend compte que c’est le premier jour où elle n’a aucune obligation depuis le début des Jeux. «C’est l’investissement nécessaire pour le sport de haut niveau, balaie-t-elle. On m’a fait confiance, je n’ai jamais rien lâché. On devait tout mettre en œuvre pour que ça marche. Et surtout ne pas montrer aux athlètes la pression que nous avions.»
Qu’importent, pour l’entraîneuse, les projecteurs ou la popularité. Mais quand Gary Hunt, l’un de ses athlètes, s’est tourné vers elle pour lui témoigner sa reconnaissance, elle n’a pas pu retenir ses larmes. «Gary m’a remerciée de l’avoir accompagné, soutenu. Ces mots sont si rares. Et puis la compétition était finie, c’étaient ses derniers jeux. Je me suis effondrée.»
Comme pour les sportifs, la charge émotionnelle est énorme. Éreintante. «L’entraîneur est au milieu de tout : il doit être le tampon entre l’athlète et les élus de la fédération, les médias, la famille, les sponsors… il faut être solide psychologiquement, reconnaît Stéphane Traineau, manager de l’équipe de judo du Kazakhstan, auparavant directeur des équipes de France. Nous aussi, on doit se préparer pour arriver en forme, avoir de l’énergie et la transmettre à l’équipe tout au long des Jeux.» D’autant que la performance des sportifs semble aussi liée à la santé mentale de leur encadrement. Aujourd’hui, les prises en charges du staff sont encore rares, même si les choses commencent à bouger.
Le stress sans les endorphines
Tous les membres du staff, et pas seulement les entraîneurs, sont confrontés aux émotions des athlètes. Une séance de kiné, par exemple, est un moment privilégié pour les compétiteurs : ils y confient leur fatigue, leurs craintes, voire des situations plus personnelles. «Parfois, ce sont des informations cruciales pour leur carrière et leurs performances. On doit réussir à faire passer certains messages au coach ou la fédé», souligne Morgane Sellès. Pour les Jeux de Paris, elle a aussi joué un rôle de soutien. «Tous les jours, pendant deux mois, à chaque séance d’étirement avec notre champion olympique de moins de 100kg [Zelym Kotsoiev], on parlait de ses doutes sur ses capacités à décrocher le titre. J’étais là pour le rassurer, l’encourager.»
Comme les sportifs, l’encadrement ressent tout autant le stress du résultat. «On travaille si longtemps pour un objectif, c’est un peu comme le jour du grand oral du bac, glisse Stéphane Traineau. Mais à la différence de l’athlète, on ne se livre pas sur le tapis. On garde en nous toute cette charge émotionnelle.» L’ancien judoka, double médaillé de bronze olympique, le reconnaît volontiers : il rentre des compétitions plus épuisé encore avec sa casquette d’entraîneur qu’avec celle d’athlète. Alors pendant les JO de Paris, «deux ou trois fois», il a retardé son dîner pour décompresser une trentaine de minutes à la salle de sport.
«Le banc ou les tribunes, c’est l’une des places les plus difficiles, analyse la psychologue Chloé Leprince. On ressent le stress, mais pas les endorphines de l’activité physique.» D’où l’importance, insiste-t-elle, de la préparation de toute l’équipe : «Un membre de staff m’a raconté qu’il avançait son réveil d’une demi-heure tous les jours pour méditer. Ça a transformé son vécu des Jeux. Tout ça s’anticipe : on a tendance à tout penser pour les athlètes, c’est beaucoup moins le cas pour l’encadrement. Pourtant, chaque personne a son importance dans la performance.»
Composer avec le «vide» qui suit l’adrénaline des Jeux
Le stress est lié aux médailles mais aussi à la précarité du job. Dans un staff, la plupart ont des contrats à durée déterminée, souvent de quatre ans, généralement conditionnés aux résultats. «L’un des plus gros facteurs de stress des entraîneurs, c’est aussi l’instabilité de l’emploi, confirme la chercheuse. J’ai vu des amis entraîneurs enchaîner les jours de plus en plus blêmes, très marqués physiquement, tant qu’ils n’avaient pas de médailles», souffle Morgane Sellès.
Les équipes olympiques doivent maintenant faire face à un nouveau challenge, un peu plus personnel : composer avec le «vide» qui suit l’adrénaline des Jeux. La bulle collective éclate, pour quelques semaines au moins. «C’était fabuleux, maintenant, j’appréhende le retour, admet Clémence Monnery. Je veux prendre du temps pour moi, mes enfants. Couper un peu avec le sport, si j’y arrive.» Il va aussi falloir se réhabituer aux tâches quotidiennes. «L’écart entre ces deux mondes est énorme, il peut créer un inconfort, jusqu’au mal-être, insiste la psychologue Chloé Leprince. Il peut aussi provoquer un ennui, voire une culpabilité : certaines mères racontent qu’elles n’arrivent pas à retrouver du plaisir avec leurs enfants.» Et si l’adrénaline a pu les faire tenir le temps des JO, la psychologue insiste sur les «semaines à suivre» : «Le risque, c’est de passer de compétition en compétition sans jamais reconstituer ses ressources, jusqu’à ne plus avoir de force.»
Car même si les Jeux sont finis, le travail au sein des fédérations se poursuit. 2028 est déjà en ligne de mire - et il y a d’autres sportifs à accompagner. Morgane Sellès confesse qu’elle n’a pas complètement lâché le travail, même si les JO sont finis. «Ce métier nous fait vivre de telles émotions… Je ne sais pas si c’est une bonne chose, s’amuse-t-elle, mais je crois que je suis droguée.»