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JO de Paris 2024 : le Kenya ou l’athlétisme à visage humain

JO Paris 2024dossier
Faith Kipyegon et son compatriote Emmanuel Wanyonyi ont remporté respectivement le 1 500 m féminin et le 800 m masculin. Comme un retour aux sources pour le demi-fond.
Emmanuel Wanyonyi célèbre sa victoire sur 800 m: exploit rare, il remporte l'or à ses premiers jeux. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP)
publié le 10 août 2024 à 22h47

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A force de tourner à l’envers, écoutant ses envies sans grand respect pour la tradition, l’athlétisme avait fini par en oublier les valeurs sûres. Pour sa dernière soirée au Stade de France, samedi, il s’est remis dans le bon sens. Au moins sur la piste. Il était temps. Le demi-fond a cessé de préférer la fantaisie. Il est resté l’affaire du Kenya. Il est rentré à la maison.

En tout juste une heure, le drapeau kényan a fait deux fois le tour de la piste, porté à bout de bras par un athlète habité par la joie. Après la finale du 800 m hommes, d’abord, tenu par un jeunot aux jambes interminables. Sorti vainqueur pour un souffle d’une course authentifiée comme la plus dense et folle de l’histoire, Emmanuel Wanyonyi a réussi là où la plupart échouent : un titre olympique pour sa première expérience aux Jeux. A 20 ans et seulement 10 jours. Son chrono : 1′41′'19. Deuxième temps de l’histoire, à 28 centièmes du record du monde détenu par son compatriote David Rudisha il y a douze ans

«Je peux songer au record du monde»

Sans doute faut-il être kenyan pour réaliser pareille prouesse. Depuis Pékin 2008, le pays n’a jamais laissé filer le titre olympique sur cette distance. Décrocher la victoire n’est plus seulement une affaire de tradition. Il est presque question d’un héritage, transmis par les plus anciens avec des gestes solennels. Gagner devient un devoir.

Emmanuel Wanyonyi l’a expliqué après la course : la pression était sur ses épaules. Il se savait attendu, malgré son jeune âge et son inexpérience. «J’ai prié Dieu avant la course, a-t-il raconté. J’ai pris tout de suite la tête car je savais qu’il fallait durcir le train. J’ai été capable de le faire. Maintenant, je peux songer au record du monde. Pas tout de suite, mais un jour prochain.»

Né dans une famille de 12 enfants, Emmanuel Wanyonyi déroule le fil d’une histoire personnelle rude et sans la moindre insouciance. A 10 ans, il doit abandonner l’école pour devenir garçon de ferme, sa mère n’ayant plus les moyens de payer les maigres frais de scolarité. Il perd son père avant l’âge de 14 ans. Un jour, en surveillant son troupeau, il voit passer un groupe de coureurs à pied. La scène lui donne envie d’essayer. Il se met à courir, dans les rares moments creux de ses journées sans fin, sans prêter attention à la distance parcourue.

Repéré dans une compétition régionale par Janeth Jepkosgei, la championne du monde du 800 m en 2007, il se voit proposer de rejoindre un centre d’entraînement. La suite emprunte une voie plus traditionnelle. Emmanuel Wanyonyi retourne à l’école, gagne ses premiers schillings sur la piste, puis se fait un nom dans le demi-fond. Au pays, d’abord, puis sur la scène internationale. Avec ses premiers cachets sur le circuit international, il achète un terrain dans son village, fait bâtir une maison pour sa mère et paye les études ses plus jeunes frères et sœurs.

Faith Kipyegon au sommet du demi-fond

Faith Kipyegon, l’autre médaillée d’or de la soirée pour le Kenya, n’en est plus à sa découverte des Jeux, des honneurs et de l’ivresse d’un podium olympique. A 30 ans, elle a presque tout connu de l’athlétisme international. Tout connu et tout gagné. Deux titres olympiques sur 1500 m (2016 et 2020), quatre médailles d’or aux championnats du monde, dont un doublé 1 500 /5 000 m l’an passé à Budapest. Mariée, père d’une fille de six ans, la Kényane peut observer sa carrière sans verser une larme.

Au Stade de France, samedi soir, elle a pourtant poussé la porte de la finale du 1500 m avec la rage d’une oubliée de la gloire. La raison : sa deuxième place sur 5000 m, lundi 5 août, derrière sa compatriote Beatrice Chebet. En soi, rien de dramatique. Mais Faith Kipyeong a été disqualifiée à l’issue de la course, pour avoir gêné une autre finaliste, avant d’être requalifiée à la deuxième place. «Cette affaire m’a coûté beaucoup d’influx et d’énergie, a-t-elle expliqué. Je n’ai pas pu dormir jusqu’à hier soir. Mais mon mari m’a soutenu et aidé. Il a été la seule personne, avec ma fille, avec qui j’ai pu parler normalement.»

Sa victoire sur 1500 m, assortie d’un record olympique (3′51′'29), installe Faith Kipyegon tout en haut du demi-fond mondial, actuel et passé. Elle est désormais la seule athlète de l’histoire à détenir trois titres olympiques consécutifs sur 1500 m. Sebastian Coe en a décroché deux. Elevé au rang de lord par la Reine d’Angleterre, le Britannique préside aujourd’hui World Athletics, la fédération internationale. La Kényane n’en attend pas autant de l’existence. «J’espère continuer dans cette voie et continuer à motiver les jeunes femmes et les jeunes filles du monde entier», a-t-elle humblement répondu à une question sur son avenir.