Un moment olympique : deux ressortissantes de la République démocratique de Corée sur la boîte. On s’est pointé mercredi 31 juillet au Centre aquatique de Saint-Denis, à l’occasion du plongeon synchronisé de haut vol à 10 m féminin, pour arracher quelque chose aux deux superstars chinoises de la discipline, Yuxi Chen et Hongchan Quan, triple championnes du monde en titre et dont le sacre était aussi sûr que le lever du soleil. Et on est tombé sur un de ces angles morts qui n’appartient qu’à l’olympisme, que le suiveur chérit aussi sûrement que la vision d’un confrère sud-coréen au sauté de veau à 6h30 du matin en salle de presse, parce qu’il travaille et vit à l’heure du média qui l’emploie : des Coréens du Nord médaillés.
Il fallait ouvrir grand les yeux parce que les Nord-Coréennes Kim Mi Rae (23 ans, déjà vue à Rio en 2016) et Jo Jin Mi (19 ans) n’étaient pas là pour s’étendre sur l’extase olympique. «On ne les voit pas sur le circuit mondial, a expliqué la plongeuse tricolore Jade Gillet. Deux fois cette année, en fait : aux championnats du monde de Doha en février, parce qu’il fallait aller chercher un quota olympique, et aujourd’hui.» On en est ainsi rendu à la dernière chose que le sport mondialisé en instagrammé peut aujourd’hui nous offrir : le mystère. Escortées par un chaperon et une membre de l’équipe nord-coréenne s’étant présenté à nous comme une «docteure», les deux plongeuses ont dévalé la zone mixte à la vitesse de la lumière. Pas simple de s’échapper quand même.
Grande perplexité
Elles sont aux Jeux, tenues d’en faire un minimum. Un grand Occidental travaillant pour un groupe de médias asiatiques accroche le chaperon, fait valoir une énigmatique visite du Centre national de Pyongyang voilà deux hivers, et la petite troupe s’arrête. Jo Jin-mi est écartée par le chaperon. Mais Kim Mi Rae ne l’aura jamais vraiment : l’accompagnatrice traduit les questions en anglais à l’athlète, avant de retraduire du coréen à l’anglais les réponses de la plongeuse avec un multiplicateur quatre (trois mots bredouillés par la jeune fille deviennent une phrase ou deux). Quand même, le grand Occidental fait fort : sa question visant à savoir si Kim Mi Rae «trouve du kimchi [chou fermenté, ndlr] au village olympique» a précipité son interlocutrice et la traductrice dans une grande perplexité. Dialogue :
«Quels sentiments vous étreignent ?
– Je suis contente.
– L’argent après l’équipe chinoise, n’est-ce pas une sorte de victoire ?
– Je ne sais pas. On n’est pas en compétition contre la Chine. On l’est contre nous-mêmes.
– Le fait que la Corée du Nord n’envoie aucun athlète à Tokyo il y a trois ans [officiellement pour échapper au Covid, ndlr] vous a-t-il freiné dans votre développement ?
– Je ne sais pas.
– Pourquoi organiser vous votre invisibilité sur le circuit ? Pour mieux surprendre aux Jeux ?»
Le chaperon prend la main : «Là, c’est moi qui réponds. On devait aller à Doha pour aller chercher le quota olympique. Ensuite, il n’y avait plus de compétition jusqu’aux Jeux de Paris. Voilà.»
Attaque cosmique
Certes, mais Kim Mi Rae et Jo Jin Mi pouvaient sortir avant Doha. Il faut quand même entendre que les Nord-Coréens ont élevé en laboratoire un duo qui, à peine aligné, a engrangé une médaille d’argent dans chacune des deux compétitions les plus relevées de l’année. C’est comme faire pousser une moustache en une nuit. Le face-à-face s’est arrêté là. Mais il restait une épreuve. Et non des moindres : la conférence de presse des médaillées, devant un parterre international de journalistes et une traduction assurée par l’organisation, donc infiniment plus sûre. Une consœur sud-coréenne lance une attaque cosmique : l’histoire personnelle, le parcours, les héros qui édifient l’enfance, les sensations.
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Tassée sur son siège, complètement dans son monde, la Nord-Coréenne Jo Jin Mi ne bouge pas. «C’est notre toute première médaille [olympique] et nous sommes très heureuses, répond Kim Mi Rae. Nous avons fait de notre mieux mais nous n’avons pas gagné l’or. Merci.» Sa médaille à elle, après sa quatrième place de Rio : «J’étais très triste il y a huit ans. Depuis, on s’est astreintes à des entraînements robustes. En Corée du Nord, on fait de notre mieux et là, c’est l’argent, quand même ! Merci.» On brûle d’aller chercher Jo Jin Mi sur sa planète, où qu’elle soit : sur son pays, l’émotion de ses premiers Jeux, le village olympique, le kimchi, n’importe quoi. Une question ciblée sur la jeune fille tombe enfin. «Ce sont mes premiers Jeux et je suis heureuse. Je ferai mieux la prochaine fois. Merci.» Un rêve olympique est passé. Les présents ne sont pas partis avec grand-chose mais si peu qu’on prenne, on prend quand même.