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Clap de fin

JO de Paris 2024 : Nikola Karabatic, le crépuscule du GOAT

JO Paris 2024dossier
Le handballeur tricolore, qui refermera au dernier match olympique des Bleus une carrière au palmarès richissime, traverse le tournoi parisien comme l’ombre du joueur qu’il a été, au point de se reléguer lui-même sur le banc. Pas de quoi le rendre moins incontournable dans une équipe qui dispute son quart de finale ce mercredi contre l’Allemagne.
Nikola Karabatic entre Dika Mel et Hugo Descat lors du match de la France contre l'Egypte, le 31 juillet à Paris. (Bernadett Szabo/Reuters)
publié le 7 août 2024 à 6h55

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Quoiqu’il se passe en quart de finale ce mercredi 7 août contre l’Allemagne (1), il restera encore demain. Les jours d’après, aussi. Des handballeurs défileront dans le stade Pierre-Mauroy en se passant et repassant ce ballon qui colle aux doigts. Nikola Karabatic et ses partenaires de l’équipe de France, en difficulté depuis le début du tournoi olympique, ne seront peut-être plus de ceux-là, mais le handball continuera. Le barbu, principale tête d’affiche du hand français depuis deux décennies, a mis le temps, à 40 ans, avant d’accepter le crépuscule qui tombe inexorablement sur les carrières, même les plus grandes. «C’est proche mais c’est encore un peu loin», glissait, comme pour se rassurer avant la compétition, le désormais ex-joueur du PSG.

Sûrement rêve-t-il toujours du 11 août, date de la finale olympique, comme clap de fin. L’espace d’un instant, il a cru que c’était dimanche, lors du match de poules couperet contre la Hongrie. Il l’a soufflé, la mine grave, à son frère Luka. «A un moment on s’est regardé avec Niko et c’est ce qu’il m’a dit : “Ça pourrait être le dernier”, raconte le cadet après la rencontre. Ça a été une très forte émotion pendant quelques secondes.» Nedim Remili raconte que «Niko» lui avait «mis un coup de pression» le matin du match. «Il m’a dit “tu ne vas pas me faire jouer mon dernier match ici”», dans la modeste Arena Porte 4 du parc des expositions parisien.

Obsession quasi-maladive de vaincre

Karabatic veut encore profiter. Du village olympique, des foots à l’entraînement, des conciliabules tactiques. «J’essaie chaque jour, en me levant, chaque heure même, de me rendre compte de la chance de pouvoir vivre une dernière aventure olympique. J’essaie de savourer ce moment-là avec beaucoup de joie, de bonheur, de la pression aussi et beaucoup de sérénité», s’extasie le triple meilleur joueur du monde (2007, 2014 et 2016), qui dispute ses sixièmes JO. Il en a déjà ramené trois médailles d’or.

Pour l’instant, la dernière danse de celui qui fut de toutes les fêtes depuis sa première couronne de champion d’Europe en 2006 a des airs de compétition de trop. Un jubilé à la limite du farcesque qui ne ruinera pas les glorieux périples passés, mais n’aide certainement pas cette équipe-là à enfin entrer dans un tournoi qu’elle traverse comme son ombre.

Certes, il y a encore la passion. Elle s’apprécie dans ses prises de balles franches, ce regard convaincu en distribuant le jeu, cette intention intacte de fixer son vis-à-vis sur la gauche pour décaler le gars à droite. Le poids des âges l’a fait se réinventer. Ses lectures sur le soufisme, le développement personnel, son initiation aux préceptes du maître bouddhiste Thich Nhat Hanh, lui ont fait appréhender son sport autrement. Par le plaisir plutôt que la furie, l’obsession quasi-maladive de vaincre. Il ne marque plus dix buts par rencontre, comme lors des grandes batailles face au Danemark de son pote Mikkel Hansen, autre monument voué à quitter le train du hand pro à l’issue du tournoi. Les deux se sont croisés sur le terrain peut-être pour la dernière fois au match d’ouverture, que Karabatic a subi, comme il a subi les suivants.

Gamins abreuvés des exploits de «Niko»

Le sélectionner était-il judicieux, quand la génération d’après tambourine à la porte ? Erick Mathé, adjoint de Guillaume Gille, aussi en fin d’aventure tricolore, lui trouve d’autres atouts : «Peut-être est-il moins dynamique qu’il ne l’a été, mais il apporte énormément au quotidien. Dans le jeu aussi. Il a une telle expérience, ça ne se remplace pas. C’est inégalable. Aux JO, c’est crucial.»

Signe de l’inéluctable déclin qui pointe : contre la Hongrie, «Kara» a débuté sur le banc. C’est Elohim Prandi, le sauveur du dernier Euro, qui s’y est collé. En zone mixte, Guillaume Gille a avoué à demi-mot que la décision n’était pas forcément sienne. La requête fut formulée par Karabatic lui-même. «L’essentiel étant que le poste d’arrière gauche fonctionne», a évacué Gille. A croire que le sélectionneur ne peut pas se résoudre à l’idée de rétrograder son ex-coéquipier en Bleu dans la hiérarchie. Encore moins à lui dire stop. Comme s’il était incapable de refermer un ouvrage retraçant vingt-deux ans d’histoire en équipe de France, à cheval entre trois générations.

Karabatic a été un «Costaud», un «Expert» (surnom des différentes équipes de France ces dernières années) avant d’accompagner les petits derniers. Pour eux, il est «un oncle, un grand frère», dixit l’ailier Dylan Nahi. Quelqu’un de «toujours là pour nous». Le «GOAT de notre sport», aussi. Nahi avait un an au moment où l’arrière gauche toquait chez les pros avec Montpellier, deux ans lors de sa première cape chez les Bleus. Il a fait partie de ces gamins qui se sont abreuvés des exploits de «Niko». «Il a révolutionné le sport, soutient Nedim Remili. Aujourd’hui, on aspire plus à jouer des deux côtés du terrain [en attaque comme en défense, ndlr], à sauter haut, à tirer fort, à faire des duels. C’est lui qui a rendu les joueurs beaucoup plus complets, parce que ça a été l’exemple d’au moins deux ou trois générations.»

Comment gérer un héritage si lourd dans un vestiaire, au point de peser tel un fardeau dans la tête de certains ? «C’est simple, on n’en parle pas», affirme Erick Mathé, qui concède bien «quelques petites boutades, mais on n’en fait pas des tas». Hugo Descat confirme. «On est focus sur notre jeu. A la fin ça va cogiter mais pour l’instant, il reste du temps.» Plus beaucoup.

(1) Coup d’envoi à 13h30.